
AKAA 2017 : Panser les plaies du passé pour mieux penser l’avenir
PAR ANTHONY VINCENT
11 NOVEMBRE 2017
Du 10 au 12 novembre 2017, Also Known as Africa (AKAA), la foire d’art contemporain et de design centrée sur l’Afrique et ses diasporas investit pour sa deuxième édition le Carreau du Temple à Paris, afin de présenter 150 artistes venus de 28 pays différents. Parmi eux, l’irrévérencieuse Lady Skollie, l’onirique Laeïla Adjovi, et le poignant Roberto Diago nous ont particulièrement séduits par leur art de panser les plaies du passé pour mieux repenser l’avenir.
Sous la verrière du Carreau du Temple, dans le 3e arrondissement de Paris, tournoient lascivement trois robes monumentales qui se reflètent dans un bassin. Baptisée Enigma, cette oeuvre de l’artiste camerounais Bili Bidjocka donne le ton dès l’entrée : Also Known As Africa ne transige pas, mais impose ses partis pris esthétiques, poétiques et politiques, sans jamais chercher à se justifier.
Ambition sans concession
Après sa première édition, qui avait su attirer plus de 15.000 amateurs d’art, collectionneurs et curieux en 2016, la foire d’art contemporain et de design centré sur l’Afrique et ses diaspora accueille cette année du 10 au 12 novembre 2017 38 galeries représentant 150 artistes venus de 28 contrées différentes. Des chiffres qui donnent presque le tournis pour une manifestation culturelle aussi jeune, pour ne pas dire confidentielle. Mais qui prouvent bien son ambition de confirmer la place de l’Afrique sur le marché de l’art, au delà des effets de mode qui l’ont imposée ce printemps.
Ici, les silhouettes étonnamment précises dessinées à coups de brûlures d’étincelles projetées sur du papier par l’artiste Pedro Pires. Là, les sculptures de corps féminins composées par Freddy Tsimba à partir d’une multitude de vieilles paires de ciseaux qui inspirent d’angoissantes incisions, ou de petites cuillères évoquant tout le paradoxe d’une mère nourricière creusée par la faim. Et surtout, Ousmane Sow, immense artiste sénégalais et premier artiste noir à devenir membre de l’Académie des Beaux-Arts, disparu le 1er décembre 2016, auquel AKAA rend hommage en présentant ses sculptures Petits Nouba légendaires, et l’inédit et bientôt aussi classique que le Penseur de Rodin, Nouba qui se maquille, colossal et intime. Cette ambition débordante d’AKAA se traduit même spatialement à travers l’invasion du sous-sol, pensé comme un laboratoire d’art où des conversations sur la création s’organisent tout au long des trois jours d’exposition. C’est d’ailleurs dans ce AKAA Underground que nous découvrons notre premier coup de coeur.
Lady Skollie, féministe Khoïsan
Les quatre murs de l’espace de rencontres du sous-sol sont dédiés à Lady Skollie, représentée par la londonienne Tyburn Gallery. Elle profite de cette carte blanche pour peindre, in situ, Mating Dance : une horde de figures masculines noires, au sexe dressé comme une boussole ou masqué par un pagne de bananes tout autant évocateur, se ruent vers un immense fruit de la papaye à la chair dévoilée et juteuse. L’artiste sud-africaine questionne les notions de consentement, de genre et de sexualité à travers son oeuvre extrêmement vivace, colorée, et explicite, véritable ode aux femmes Khoïsan, groupe ethnique indigène d’Afrique du Sud, aujourd’hui discriminé par la population à la peau plus claire notamment.

Lady Skollie pose devant son oeuvre in situ "Mating Dance" - Crédits : Anthony Vincent

"Pick me, pick me, pick me, pick me, pick me" et "The Phallus veil, hiding the truth, distorting lies" de Lady Skollie - Crédits : Anthony Vincent
Sur un autre mur son oeuvre Vlerksleep interroge les rapports de force entre masculin et féminin : une femme entravée de bananes autour du cou et aux chevilles parvient à mettre un homme sous son joug. Justement parce qu’elle l’a laissé croire qu’il la domine ? Sur une autre façade, Laura Windvogel de son vrai nom superpose Pick me, pick me, pick me, pick me, pick me, technique mixte au format paysage sur fond bleu, noire de monde comme autant de prétendants réclamants une partenaire, sous The Phallus veil, hiding the truth, distorting lies, rideau suspendu composé de bananes qui réduisent fatalement le champ de vision sur ce qu’il y a derrière. Ou l’art de ne pas avoir le choix.
Laeïla Adjovi, envol onirique
En quittant l’espace carte blanche offert à Lady Skollie, on tombe nez à nez avec l’onirisme de Laeila Adjovi. Journaliste de formation d’origine franco-béninoise qui a grandi au Gabon et en Afrique du Sud, elle a remporté en mars 2017 le prix Bright Young décerné par la revue Art Africa. La galerie qui tient cette revue d’art présente ainsi son travail à AKAA : un poème intitulé “Mon nom est Malaïka Dotou Sankofa”, accompagné d’une série de photos où une danseuse, en costume masculin et ailes articulées de 4 mètres d’envergure composées de plumes en tissu wax, joue avec l’objectif et la lumière dans les ruines de l’ancien palais de justice de Dakar.
“Mon nom est Sankofa. / Je ne suis plus aphone, / je ne suis plus illettrée. / En cachot, / en cachette, / j’ai su apprivoiser le verbe. / Je maîtrise les lettres, / mais je respecte l’oralité. / Je sais voir au travers les ratures des livres d’histoires. / Je connais les machines à écrire pleines de barbelées. / Désormais, plus personne ne pourra éteindre mes Lumières. / Je danserai à tire-d’aile dans les ruines du monde d’hier, / sur les tombes des pillards et les cadavres de leurs clichés. / On m’appelle Malaïka Dotou Sankofa”, écrit Laeïla Adjovi, en dernière strophe de son poème qui sonne comme l’hymne officieux de tous les peuples colonisés, plein d’espoir sur son envol inéluctable.

Malaïka Dotou Sankofa #2, Dakar, Senegal 2016 – Credits : Laeïla Adjovi Courtesy Art Africa
Roberto Diago, grand-voile sur l’histoire
En remontant au rez-de-chaussée, le travail de Roberto Diago nous frappe à son tour par sa synthèse de l’histoire tout en poésie ténue, présentée par la galerie Vallois. L’artiste visuel de 46 ans d’origine cubaine, devenu l’un des plus reconnus venus de l’île caribéenne à l’international, raconte les souffrances de l’esclavage subi par le passé qui nourrissent aujourd’hui l’envie d’avancer avec Mirando hacia delante. Sur un fond noir, un morceau de voile de bateau occupe le centre, fixé sur la toile de 130 x 100 cm par des points de suture réalisé à l’aide de cordage marin. Au milieu de cette voile qui navigue sur une mer rouge sang trône un mystérieux visage masqué.
L’artiste semble ainsi présenter les traumatismes passés soufflant dans la grand-voile de populations afro-descendantes opprimées par le colonialisme. Et dépeint parfaitement, en ces temps troublés, l’impérieux désir d’aller de l’avant, commun à l’ensemble de la foire d’AKAA dont les artistes écrivent le futur à l’encre du passé, pansent les plaies de l’histoire pour mieux repenser l’avenir.
Crédits : Anthony Vincent
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