
A travers ses peintures et photographies, l’artiste Josué Comoe cherche à représenter le divin.
Autodidacte et anti-conformiste, sensible et sensé, Josué Comoe est un artiste qui n’accepte aucune compromission avec son art. Se refusant à tout carcan, il explore et cultive sa singularité au moyen de la peinture, de la photographie et de la vidéo.
Ce qui frappe quand on regarde son corpus d’oeuvres, c’est la consistance et l’affirmation profonde d’un style qu’il exprime avec cohérence sur tous ses média mais également autour d’un triptyque fort : la puissance du divin, du noir et de la vulnérabilité. Est-ce de la photo? Est-ce de la peinture ? Josué Comoe brouille les pistes, joue avec notre regard mais surtout avec le sien. Ses auto-portraits sont de véritables tableaux introspectifs dans lesquels il questionne sa propre altérité et nous invite à le suivre dans ce voyage cathartique.
C’est justement à bord d’un avion en partance pour Berlin, afin d’assister au Forum de Saint Louis, que nous nous retrouvons assis côte à côte et que s’engage cette conversation. Rencontre
Crédits : « Inner Landscape » de Josué Comoe
« Ce qui m’inspire c’est le fait d’exprimer ce qui est de l’ordre du transcendant et du divin, ce qui fait notre composant. C’est ce qui me parle énormément et j’essaie surtout de m’éduquer à comprendre comment ça peut se représenter. »
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Josué Comoe, j’ai 25 ans. Je suis né en Côte d’Ivoire et je suis arrivé en France à l’âge de 7 ans. J’ai vécu d’abord à Orléans et après on est venu à Paris avec ma famille. J’ai fait un Bac Littéraire option art plastiques suivi d’une prépa Art.
Tu savais déjà tout jeune que tu voulais être dans l’art ?
Absolument pas. Quand j’étais jeune, je n’avais pas du tout le profil d’une personne qui allait faire de l’art. J’avais énormément de mal à m’exprimer, j’étais très calme et je parlais très peu. C’est seulement au lycée que j’ai commencé à découvrir l’art via l’option arts plastiques et c’est à ce moment là que j’ai commencé à dessiner et peindre.
C’est comme cela que tu as découvert ton don ?
Je ne sais pas si je peux parler de “don” mais plutôt de passion oui. Et maintenant c’est devenu une nécessité parce qu’à partir du moment où je trouve quelque chose pour clairement exprimer qui je suis ou ce que je veux alors çà m’est nécessaire. Au lieu de parler, je vais plutôt essayer de l’exprimer via un dessin, une toile ou un objet.
Ensuite, après le bac je me suis orienté vers une prépa d’art mais çà s’est très très mal passé, du coup j’ai arrêté. En fait, j’ai un rapport assez conflictuel avec l’école. Je vivais l’école comme une violence que ce soit au lycée ou même en école d’art. Je n’ai jamais réellement réussi à m’y retrouver, c’est comme si tout devait se jouer à l’école. C’était angoissant et même frustrant. Du coup, j’ai tenté les concours en candidat libre et je suis rentré aux Arts Déco. J’y suis resté 3 ans mais en me battant car au bout de la première année je voulais déjà arrêter.
Crédits : « L’ascension » de Josué Comoe
Pourquoi ?
Parce que çà ne me plaisait pas, je ne m’y retrouvais pas. Je trouvais que c’était quelque chose qui allait totalement tasser ou même altérer mon travail. Tu sais, l’école c’est aussi une question de méthodes et de méthodologies. On t’apprend finalement à faire ce que tu dois faire alors qu’au départ on est tous censé avoir un oeil différent. J’avais l’impression qu’on allait tous vers une même direction, qu’on allait tous se ressembler et je n’aimais pas ça du tout. Je discutais beaucoup avec les profs sur leurs manières d’enseigner. Je me prenais aussi des remarques assez déplacées en tant que seul élève noir de ma promo. Il y avait une sorte de fantasme vis-à-vis de mon travail. Je retrouvais les mêmes remarques qu’on trouve lorsqu’il s’agit de parler d’artistes africains ou noirs . Par exemple je vais proposer un travail pour répondre à un sujet et à chaque fois ils vont tenter de penser ma psychologie à travers le travail que je propose avec des adjectifs du type “art brut”, cela n’avait aucun sens et c’est allé très loin. C’est aussi une des raisons qui m’a poussé à arrêter parce que je sentais que cela pouvait être trop décisif dans ce que j’allais devenir.
C’est à ce moment là que j’ai commencé à faire ma propre peinture et à me développer seul. C’était beaucoup plus sain pour moi de le faire de cette manière et cela a tout changé : mon travail, la perception que j’avais de l’art en général et la perception que j’avais de moi qui fait de l’art. Si j’avais continué je suis sûr et certain que mon travail aurait été différent.
D’ailleurs, comment définis-tu ton art ?
Thérapeutique avec une volonté de transcendance. C’est-à-dire que je vais faire en sorte que ce soit quelque chose qui devienne intemporel. Pertinent. Non, infiniment pertinent. Quelque chose qui n’est absolument pas fixe et c’est pour cela que le terme “spirituel” va avec. On parle de transcendance souvent lorsque l’on va parler de quelque chose de divin ou de choses qui nous dépassent et c’est exactement ce que j’ai envie de faire. Pas forcément de créer quelque chose qui nous dépasse mais plutôt d’indiquer que pleins de choses nous dépassent.
Parfois, on aime une musique et on ne sait pas pourquoi on l’aime, des fois c’est juste parce que cela parle à notre âme mais on ne peut pas l’expliquer. C’est exactement cela l’art pour moi et dans mon travail j’essaie beaucoup de me concentrer sur cette partie là. Je n’ai pas forcément plaisir à parler de codes, techniques ou de la manière de peindre, ce qui est le plus important c’est ce que va dégager la peinture. Je crois qu’il y a quelque chose de très spirituel dans l’art en général et aujourd’hui je me sens beaucoup plus accompli dans mon travail, notamment en peinture.
On le voit dans tes dernières oeuvres. Est-ce parce que tu es plus épanoui dans ce que tu fais et dans ta spiritualité?
Les deux. Je pense que mes réflexions ont évolué. J’ai eu à réfléchir sur énormément de choses, à trouver mes propres réponses et ma propre vérité. C’est ça qui fait que mon travail a totalement basculé. En peinture, je ne m’étais pas encore trouvé au départ. Maintenant, j’ai davantage l’impression d’être en mesure de mieux défendre mon travail, ma peinture et de mieux me trouver.
Credits : « Tout pour l’âme » – Josué Comoe
Credits : « Oneness » Josué Comoe
Quand tu t’es lancé, tu as eu tout de suite une certaine visibilité sur les réseaux sociaux et énormément dans la presse. Et puis à un moment donné, c’est comme si tu t’étais évaporé, que tu avais disparu. Je me trompe?
Non, c’est tout à fait ça. Il y’a eu beaucoup de bruit autour de moi parce que cela touchait les gens de voir un artiste-peintre noir en France. J’ai bénéficié d’un vrai soutien, ce n’était pas juste de la “fame”. Ensuite, je me suis confronté à énormément de débats: pourquoi je ne peins que des personnes noires? Quelle est ma position en tant qu’artiste noir sur tel et tel sujet ?
Cela m’a épuisé, fatigué. J’ai compris que cela n’allait pas être pertinent pour moi de répondre à certaines questions ou de me retrouver dans certains endroits ou articles, donc j’ai décidé de me concentrer sur mon travail. Même s’il n’y a que deux personnes qui voient mon travail, je pense que la discussion qu’on aura ensemble sera beaucoup plus forte et pertinente. C’est pour cela que je me suis retiré, mais je reviens de temps en temps sur les réseaux sociaux et préviens quand j’ai des expos çà et là.
Qu’est-ce qui t’inspire ?
Je suis inspiré par la géométrie et cela s’en ressent dans mes tableaux. La géométrie est synonyme parfois de perfection absolue, c’est une loi, une science qui est souvent utilisée pour la construction des églises et de beaucoup de lieux de cultes. En vrai, ce qui m’inspire c’est le fait d’exprimer ce qui est de l’ordre du transcendant et du divin, ce qui fait notre composant. C’est ce qui me parle énormément et j’essaie surtout de m’éduquer à comprendre comment ça peut se représenter.
Quel est ton processus créatif ?
A un moment donné, je vais avoir envie de peindre parce que j’en ressens le besoin et c’est comme cela que ça se fait. Je crée très peu ou constamment pendant un laps de temps régulier. Cela veut dire qu’il va me falloir des mois entiers pour réussir à peindre beaucoup pendant un laps de temps et après arrêter et faire ma vie.
Tu réalises beaucoup d’autoportraits. Peut-on dire que tu es le propre objet de ton art?
C’est vrai que j’en fais beaucoup mais pas que. Tout à l’heure, on parlait de thérapie, en fait c’est dans ce contexte que naissent ces autoportraits. A côté de l’art, je fais du mannequinat et on me dit souvent ce à quoi je dois ressembler, comment je dois être beau, qu’est-ce qui fait que je suis beau… Lorsque l’on est dark skin comme moi, cela sous entend souvent que ma couleur de peau va changer, que l’on va me « retoucher » énormément. Toutes les campagnes que j’ai pu faire c’est des campagnes où souvent on m’a éclairci la peau. Par exemple, dans la campagne Benetton je suis devenu métisse (rires). Et quand j’avais l’afro, c’était impossible de bosser avec, c’était une combinaison qui n’allait pas ensemble. La campagne Celio est surement la seule où l’on ne m’a pas éclairci la peau. Donc tout cela j’ai eu à le voir, à le vivre et ce que j’ai trouvé comme réponse c’était de faire des auto-portraits où j’allais montrer à voir quelque chose de moi que j’ai choisi et en cela c’est absolument thérapeutique. Au moment ou je crée, il n’y a personne qui peut retoucher ce que moi je vais choisir de laisser, je propose donc une autre image de moi à côté de celle de la mode.
Je t’avoue que les auto-portraits sont très important pour moi et je ne le fais pas forcément pour parler de mon récit, je le fais parce que je crois absolument au fait que tous les récits se valent et se ressemblent. Il y’a juste quelque chose qui fait que l’on peut se sentir concerné par le travail de l’autre et l’aimer. En fait, c’est juste un langage d’âme. C’est mon âme qui exprime quelque chose sur la toile et si une autre âme la ressent c’est qu’à un moment elle est passée par toute cette émotion que j’ai essayé de laisser dans la toile. C’est un peu comme çà que je vois les choses.
Instagram : @josuecomoe
Josué Comoe
LIGNE 1 – « Oneness » et « Moment of truth »




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