
« NOIR, ENTRE PEINTURE ET HISTOIRE », UN OUVRAGE NECESSAIRE A L’HISTOIRE DE L’ART
PAR DOUCE DIBONDO
9 JUILLET 2018
L’ouvrage Noir, entre peinture et histoire dont la sortie est prévue le 04 octobre 2018 a été co-écrit par Naïl Ver-Ndoye et Grégoire Fauconnier. Il s’inscrit dans la trame de l’histoire de l’art, contextualisant ainsi la représentation des Noir.es dans la peinture européenne à travers plusieurs thématiques telles que la religion, l’esclavage ou encore la colonisation sur 244 pages.
Les beaux-arts, et la peinture en particulier, sont l’une des traces historiques et contemporaines des sociétés. En Europe, la fréquentation des musées met en exergue une chose: l’invisibilisation des Noir.es dans ces oeuvres ou l’absence de récit quant à leur présence dans celles-ci. Naïl Ver-Ndoye à l’origine de cet ouvrage, apporte une autre vision des personnages noirs réels ou fictifs. Grâce à son travail de recherche et d’une sélection d’oeuvres pointue, il redonne à ces derniers une existence significative.
À 20 ans, Naïl Ver-Ndoye décroche son baccalauréat en science économiques et sociales puis se dirige vers des études supérieures d’Histoire. Tout en suivant un Master 1 en droit “pour le plaisir d’apprendre et creuser des domaines” qu’il ne connaît ou ne maîtrise pas. Une force de curiosité et d’autodidactisme qui l’amènera à assouvir sa volonté d’apprendre et de transmettre d’abord dans l’Education Nationale en tant que professeur des écoles pendant six ans. Puis, par l’édition de son premier livre pratique à l’intention de ses confrères et consoeurs, Professeurs des écoles, droits, responsabilités, carrière (édition Retz) afin de “pallier le manque d’information sur leur métier” selon lui. Tout cela, avant d’enseigner en lycée professionnel. Désormais professeur d’Histoire-Géographie à Argenteuil en région parisienne, rencontre avec celui qui, à travers son livre pédagogique, replace iconographiquement, historiquement et esthétiquement les Noir.es dans les beaux-arts européens.
Portrait de Jean-Baptiste Belley, 1er député Français Noir, huile sur toile, 119 x113 cm, Musée national Château de Versailles, 1797 par Anne-Louis GIRODET (1767-1824)
« La seule chose que je souhaite, c’est que les gens retiennent qu’il y’a toujours eu des Noir.es en Europe et que les Européen.nes ont toujours connu des populations noires. Au XVIIème siècle à Lisbonne par exemple, 10% de la population était noire. »
Quelle a été la genèse du livre?
J’étais parti en week-end à Rennes pour une visite de musée. Il y avait un tableau avec cinq personnages noirs mais aucune information d’annotée… et ça m’a trotté dans la tête. Le fait de ne rien savoir sur ces personnages m’a fait réaliser qu’il fallait que je fasse quelque chose. J’ai effectué des recherches pendant 4 ans pour documenter ce livre. J’ai bûché les livres d’art sur Internet. J’ai réalisé un recensement de 1200 tableaux répartis en 10 thématiques pour les regrouper (esclavage, immigration, etc..). Une sélection par coups de coeur, notoriété des artistes et par rapport aux histoires que les tableaux racontaient. Sans surprise, j’ai eu des difficultés à trouver des éditeurs intéressés. En France, ils n’osent pas se lancer sur les “gender ou african studies”. On m’a même conseillé de proposer mon livre à des éditeurs du monde anglo-saxon…
Quels ont été les arguments invoqués par les éditeurs pour refuser le livre ?
La première question est “qui est le public visé ?” C’est un livre qui s’adresse à la communauté noire certes, mais ce n’est pas un livre communautaire. Il peut s’adresser à tout le monde et à ceux qui aiment l’Art. C’est peut-être mon côté professeur, mais à travers ce livre, il y a une volonté de rendre les choses intelligibles, de les vulgariser et les rendre didactiques. Nos textes sont simples voire courts. On a dû se restreindre sur la longueur et ça, ça fait mal… Mais on tenait vraiment – Grégoire Fauconnier et moi – à ce que ce soit simple.
Quel est selon toi, l’apport de votre livre ?
Comprendre que les Noir.es ont toujours été présent.e.s en Europe et dans l’esprit des Européenn.es. La seule chose que je souhaite, c’est que les gens retiennent qu’il y’a toujours eu des Noir.es en Europe et que les Européen.nes ont toujours connu des populations noires. Au XVIIème siècle à Lisbonne par exemple, 10% de la population était noire. Ce n’est pas quelque chose qui n’arrive que dans les années 60 avec l’immigration massive. La renaissance démarre à la fin du XIVème siècle et tout de suite à cette période, il y a déjà des Noir.es représenté.es, notamment dans la chrétienté.
Y a-t-il une perception du Noir dans la peinture qui évolue avec le temps ?
Dès qu’on parle de l’histoire des Noir.es, on pense tout de suite à l’esclavage. Or, c’est une période très peu représentée en peinture, ce n’était pas quelque chose de vendeur. Ce qu’on retrouve par contre, c’est le thème de la domesticité au XVIII et XIXème siècles. Dans le livre je m’arrête aux années 40 parce qu’avec la massification du nombre d’immigrés qui arrivent en France on a plus la même perception.
« A travers ce livre, il y a une volonté de rendre les choses intelligibles, de les vulgariser et les rendre didactiques. »
Portrait d’une femme noire, huile sur toile, 81 x 65 cm, 1800, Musée du Louvre de Marie-Guilhelmine BENOIST, (1768-1826). L’artiste, une femme, prend un triple risque en peignant une femme, à demi-nue et Noire à une période où sont attendus des sujets plus classiques.
En 2018, penses-tu que la publicité a le même rôle que la peinture a pu avoir à l’époque ?
La publicité est le média numéro 1 dans nos sociétés. La peinture est beaucoup plus travaillée avec une réflexion derrière alors que la pub il y’a un produit commercial à vendre derrière.
Actualité oblige, à ton avis que faut-il y voir dans le clip Apeshit de Beyoncé et Jay-Z et le choix des œuvres mises en avant ?
Tout d’abord, ne l’oublions pas c’est un produit commercial. Un produit qui a pour but de faire parler de lui. Et en ce moment, tout ce qui se rapporte à la culture afro fait parler et fait vendre. Le clip de Childish Gambino This Is America est un autre exemple du pouvoir que les références visuelles peuvent avoir. Même si à mon sens, Jay-Z et Beyoncé ne font pas tellement de référence à une culture afro. Au Louvre, il y a au moins une dizaine de tableaux représentant des personnages noirs tels que Les Noces de Cana de Véronèse où des serviteurs noirs sont représentés ou encore le fameux Une femme noire de Marie-Guillemine Benoist. Le couple a choisi de montrer les oeuvres les plus connues du Louvre. C’est une manière de revendiquer leur familiarité avec le monde des beaux-arts (classiques) malgré le fait qu’il soit de l’autre côté de l’Atlantique. Mais c’est tout aussi légitime parce que ça permet au plus grand nombre de savoir à quoi ressemble les peintures d’un Théodore Géricault et son Radeau de la méduse.
En tant que professeur, que penses-tu de l’accueil qu’ont subi les élèves de Stains [des élèves d’un lycée de zone prioritaire ont été discriminés et sommés de quitter le musée d’Orsay ndlr] ? Qu’est ce que ça dit du système culturel français ?
Il y a deux versions de cette affaire. D’un côté on avance que les élèves ont été insolents envers le personnel. De l’autre que les élèves ont été accueillis en persona non grata dès leur entrée dans le musée d’Orsay parce qu’ils prenaient en photo les œuvres. Les institutions culturelles en France ne suivent pas les progrès technologiques et surtout les habitudes du public. Quoiqu’il en soit, de manière générale, ça montre un certaine difficulté à l’accès à la culture en France…Dernièrement j’étais en visite du sénat avec mes élèves et j’ai été étonné de voir une affiche où il était mentionné le compte snapchat du sénat. Ca change mais lentement. Aux Etats-Unis ou en Angleterre la consommation des produits culturels est radicalement différente : les visites des musées sont gratuites. Même le téléchargement d’image sur les sites de musées et autorisée ainsi que leur reproduction. Ca change totalement le rapport au temps. Tu peux décider d’aller visiter un musée et ne t’intéresser qu’à une oeuvre ou un artiste en particulier… En sachant que tu pourras répéter cette opération à l’infini. Les gens pensent qu’il faut sacraliser une oeuvre d’art en la cachant pour qu’elle ait du succès. Mais c’est bien le contraire qu’il faut faire. Il faut la partager et la faire connaître sur les réseaux et donner l’envie à un maximum de personnes de la connaître, pour qu’elle suscite un intérêt.
D’où la nécessité de ton ouvrage …
Oui. Dans ce livre, j’avais envie qu’on puisse le prendre dans tous les sens. Aussi, une des critiques que j’émets sur les livres d’art : la présence d’un fil rouge, d’une chronologie. Pour autant, dans chaque commentaire on intègre un contexte et une donnée historique. J’espère qu’il donnera à des jeunes et plus jeunes, l’envie de s’intéresser et de chercher ces oeuvres qui ont des histoires à leur raconter. Il y a pleins d’histoires, de personnages qu’on ne connaissait pas et qu’on découvre dans le livre.
La sortie du livre « La représentation des Noirs dans la peinture européenne » aux Editions Omisciences Eds est prévue le 04 Octobre 2018.
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