
Avec sa série “Figures”, mêlant cartes géographiques et photomontages, Malala Andrialavidrazana propose de réécrire l’histoire.
Ce qui frappe dans la série “Figures” de Malala Andrialavidrazana, c’est la puissance visuelle et évocatrice qui se dégagent de chaque tableau, sans parler de l’émotion intérieure qu’elle provoque. Découvrir ces cartes géographiques vestiges d’un autre temps, c’est aussi se confronter à des réalités historiques : la colonisation, l’impérialisme et le patriarcat. Dans son livre “Géostratégie Africaine”, Jean-Paul Pougala relevait ceci : “On considère par erreur que la géographie est une matière qui présente de façon objective l’étude de l’espace et de ses habitants. C’est faux. Pour paraphraser Giordano Bruno, la science ment, la géographie ment avec pour objectif de participer à un lavage de cerveaux dans l’optique d’avoir des dominés et des dominants qui s’installent chacun dans le rôle que le système veut bien lui assigner.” A travers ce travail de restitution, Malala Andrialavidrazana dresse une critique du regard porté par le Nord vers le Sud, interroge l’histoire et questionne les rapports de force et de domination. Mais en proposant des figures alternatives, Malala Andrialavidrazana réécrit l’histoire et propose de nouvelles représentations… Elle a rebattu les cartes !
Crédits : portrait de Malala Andrialavidrazana par Adama Anotho
« Les images que je partage sont très utopiques, mon ambition est de faire en sorte que les spectateurs puissent dépasser le cadre des images pour rêver. Moi je propose et eux disposent. »
Qui es-tu ?
Je m’appelle Malala Andrialavidrazana et je suis née à Madagascar. Lorsque j’avais 12 ans, mon père a été forcé à l’exil. Donc on l’a suivi à Paris. La France a un terme bien spécifique pour parler de ce mouvement : le regroupement familial. Mais comme je le dis toujours en parlant de mon travail, de manière générale, les phénomènes de migrations sont très naturels pour tout homme et tout animal. Il y a parfois des migrations par choix et des migrations qui sont sous d’autres formes. On a tendance à rapprocher “migration” et “nomadisme” or ce sont deux vocabulaires qui ne signifient pas vraiment la même chose; Dans “migration”, il y a la notion d’un mouvement pour aller se sédentariser. Moi je pense que je suis plutôt une nomade.
As-tu déjà eu une expérience de nomadisme ?
Oui, j’ai fait un tour du monde quand j’avais la trentaine. J’avais un peu d’argent de côté et plutôt que d’investir dans la pierre, j’ai préféré visiter des pierres tombales (rires). En fait, j’ai fait des études d’architecture et mon mémoire de recherche portait sur les rites funéraires et le devenir des espaces funéraires au 21eme siècle dans les zones cosmopolites dans le monde. Étant originaire d’un pays insulaire d’emblée avec une mixité culturelle, j’ai toujours été intéressée par comprendre le sens de la diversité et comment les héritages traditionnelles se mélangent et cohabitent avec les influences de la globalisation, parce que finalement ce que l’on constate c’est qu’il y’a le mouvement des hommes mais aussi le mouvement des biens de consommation et forcément à côté de tout ça un mouvement des cultures. Depuis toute petite, ces questions m’ont toujours intéressé et rendu curieuse. En faisant des études d’architecture-urbanisme et des voyages, j’ai pu approfondir le sujet et me rendre compte que les espaces funéraires sont le miroir de la ville. Pour moi, ce tour du monde des pierres tombales valait plus le coup que d’acheter de la pierre. 30 ans, c’est trop jeune pour se sédentariser non ?
Lors de ce périple, es-tu passée par Madagascar ?
En fait, je n’ai jamais réellement quitté Madagascar. Mes parents ont construit une maison là-bas, on a des attaches en dehors de la capitale et je n’ai pas arrêté de faire des vas-et- vient. Quand j’y vais je m’y sens autant chez moi que quand je suis à Paris.
A quel moment passes-tu du monde l’architecture au monde l’art ?
A mon retour du tour du monde, j’ai un ami qui me parle du prix HSBC avec à la clé une publication dans Actes Sud. A cette époque, j’avais une fascination pour Actes Sud qui est une grande maison d’édition très réputée. Il se trouve que lors de mon tour du monde, j’ai pris des photos et des notes de voyages, du coup je candidate avec le projet “D’outre-Monde” sur les espaces funéraires et deux mois plus tard j’apprends que je suis lauréate du prix, c’était en 2003. C’était totalement improbable ! Mon père a toujours voulu que je fasse médecine parce qu’il était lui-même médecin, alors pour l’embêter j’ai fait de l’ architecture. Il nous a éduqués pour ne pas dépendre des hommes, pour que l’on soit indépendants et notre propre chef. Je crois que mon père c’est la personne la plus féministe que je n’ai jamais rencontrée et j’en suis très fière. Dans sa conception à lui, il faut avoir un métier qui soit indépendant et qui aille dans le sens de la construction de la société pour tendre la main à l’autre. Moi, j’avais toujours considéré que je n’étais pas faite pour une vie de salariée et ce prix était comme une main tendue pour me dire de continuer et de tenter le coup dans l’art. Je pense qu’un prix qui a du sens sert aussi à cela et c’est le cas du prix HSBC. La chose inattendue, c’est que j’avais plus l’ambition d’écrire que de faire des images et au final j’ai moins écrit et fait plus de photos.
Quels sont les projets marquants que tu as réalisé après “D’outre-Monde” ?
Il y a eu le projet “Insomnia” sur les travailleurs immigrés qui étaient dans ce phénomène de nomadisme. Ils partent en imaginant qu’ils vont améliorer leurs conditions de vie mais en fait, ils se retrouvent isolés au final. C’était un projet très poétique car les images racontaient aussi comment se consoler dans cette désolation. Il y a eu le projet “Les résonances d’outre-mer”, un triptyque sur les héritages du passé et la manière dont cela se mélange au contemporain. Il y a eu “Echoes” qui était un travail de réflexion sur la représentation dans lequel j’ai délibérément choisi de travailler sur les classes moyennes.
En fait, il y a toujours cette mixité entre tradition, influences issues de la globalisation et l’idée de mouvement qui sont très présents dans mon travail. Le mouvement prend sens aussi bien de manière temporelle avec le mouvement historique que le mouvement dans l’espace. Comment bouge-t-on d’un point à un autre et comment les rencontres s’opèrent dans ces lieux ? Les images que je partage sont très utopiques, mon ambition est de faire en sorte que les spectateurs puissent dépasser le cadre des images pour rêver. Moi je propose et eux disposent. Les réalités servent de base à l’imagination et après c’est à chacun de composer. L’artiste ce n’est ni un chercheur ni un anthropologue, il propose juste quelques pistes pour que l’on puisse rêver un peu. On a besoin de rêver, je crois. Cela dit, je veux bousculer les gens aussi, c’est important.
Credits : « Figures 1850, Various Empires, Kingdoms, States and Republics » de Malala Andrialavidrazana
Crédits : « Figures 1867, Principal Countries of the World » de Malala Andrialavidrazana
Justement, ta série “Figures” avec l’utilisation de cartes géographiques est incroyable ! Elle bouscule autant l’oeil que l’esprit.
Merci ! Mon travail sur “Echoes” m’a mené à “Figures” car c’était une réflexion sur la représentation. Toutes ces photos que j’avais prises pouvaient à un moment basculer aussi dans une autre forme de clichés. Du coup, j’ai commencé à regarder de plus près des documents d’archives. Avant l’avènement des photos, il y a eu d’autres formes de représentations et les cartes en faisaient partie. Elles servaient autant aux grands pouvoirs occidentaux à revendiquer des territoires que d’outils de manipulation et de domination sur le plan intellectuel et politique avec des descriptions et inscriptions qui ne sont plus acceptables de nos jours. Une carte est une forme de photographie aussi car c’est une représentation et c’est pour cela que la série s’appelle “Figures”.
Credits Adama Anotho
Toutes les archives que j’utilise, que ce soit des billets de banques ou des timbres de poste étaient des outils pour asseoir une domination. Ils véhiculent des messages qui se passent de main en main facilement, qui font que l’on peut parfois se permettre de parler de l’autre dans des formes de caricatures. J’avais envie de remettre en lecture ce qu’il y avait de figure acceptable ou moins acceptable. On peut dire qu’il y au départ de ce travail, une critique du regard porté par le Nord vers le Sud.
Comment as-tu composé ces tableaux ?
Je crée ces espèces de rencontres improbables sur les parties maritimes du globe, c’est en ce sens que ce travail est utopique aussi. Il y a des figures qui portent des symboles forts, comme la figure de la servante noire qui a les mains tendues vers la maîtresse blanche sur un billet de banque du Congo belge. Quand ces représentations sont figées sur des documents, cela paraît tout naturel pour certains que ce soit la femme noire qui soit une servante. Tous les dirigeants de toutes les nations se sont servis de billets de banques pour faire passer des messages. Par exemple, quand Madagascar sort de la zone francs CFA en 1973 et qu’ils lancent leur monnaie, ils mettent l’image de la reine Ranavalona III sur certains billets. C’est un symbole très fort dont l’on peut être fier. Dans chaque composition, il faut que les choses se répondent, les détails ne sont jamais anodins ni associés par hasard. Cela peut prendre du temps pour trouver les pièces manquantes pour finaliser le tableau, donc j’attend de trouver.
Comment se lisent les tableaux ?
Chaque œuvre de “Figures” raconte une histoire car dans chaque composition j’ai gardé l’année de publication, la langue originelle et le titre original de la carte. Je joue beaucoup avec les mots c’est pour cela que je dis toujours que ce travail est une forme d’écriture. Par exemple, il y a une carte qui s’appelle “Natural History of mankind”. Et pourquoi pas Womankind ? Je me suis amusée à aller à contresens du titre et de ce qu’on peut lire sur la carte. C’était une manière de dire que les femmes ont aussi joué des rôles, elles ont contribué de différentes manières à l’évolution de l’histoire comme Néfertiti par exemple. Aujourd’hui, on est au 21eme siècle, on peut prendre du recul par rapport à tout ça et réviser tous ces clichés et stéréotypes qu’on a conservé, au fur et à mesure où l’histoire a été écrite dans un sens unique par des hommes qui ne visaient que leur hégémonie et pouvoir. Le sens de ce travail c’est aussi celui-là.
En proposant une autre lecture de ses archives, dirais-tu que ton travail est politique ?
Non je ne dirais pas ça. Il n’est pas politique, il est poétique. Je n’aime pas ce terme “politique”. Pour qu’il soit politique, il faudrait que ce soit bien argumenté, bien documenté avec une dimension scientifique or je mets beaucoup d’émotions dans tout mon travail. Dans ce sens-là, ce n’est pas un travail qui cadre avec les codes scientifiques. Il n’a ni vocation ni volonté à être politique.
A-t-il été facile pour toi d’avoir accès à ces archives ?
Je fais les puces, je demande à des potes qui demandent aux grand parents ou oncles qui ont des collections d’anciennes cartes. Je ne passe pas par les musées.
“Figures”, ça reste un travail collectif qui grandit dans une forme d’échange. Moi toute seule je ne pourrais pas le faire car c’est un travail dément de collecter et faire des recherches d’archives. Tous les vieux billets coûtent chers et je ne peux pas tout acheter. Il y a des prêts de billets, des achats et des dons. Dans mon travail, il y a toujours eu une forme d’échange. Mon travail n’existe que parce qu’en face les gens me donnent. Je pense que si c’était aussi politique et revendicatif les gens ne me donneraient pas autant.
Malala Andrialavidrazana
« FIGURES »

Figures 1799, Explorers routes

Figures 1856, Leading races of man

Figures 1861, Natural History of Mankind
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