
LOUIS PHILIPPE DE GAGOUE, LE FLAMBOYANT, S’EN EST ALLÉ.
PAR CHAYET CHIÉNIN
03 SEPTEMBRE 2021
TRIBUNE
Enfant terrible pour certains, artiste avant-gardiste pour d’autres, Louis Philippe de Gagoue ne laissait personne indifférent. Sa disparition le 20 août 2021, à 30 ans, est une perte majeure pour le monde des arts.
Il y a quelques jours, j’apprenais le décès de Louis Philippe de Gagoue à seulement 30 ans. Choc. Incompréhension. Tristesse. Puis, Respect.
Ces dernières années, ma plume s’est faite rare, parfois cachée, voire même déposée au fond de son encrier. Mais face à l’onde de choc que cette nouvelle a provoqué en moi, alors même que je ne suis pas une intime, j’ai compris que je me devais de la reprendre, me laisser guider pour n’écouter que les vibrations que me procure le travail de Louis Philippe de Gagoue quand j’y suis confrontée et célébrer l’œuvre de cet artiste de NOTRE TEMPS, parti telle une étoile filante sans crier gare.
Louis Philippe de Gagoue – credits : Cédric Viollet pour Kinfolk
Un style flamboyant
Nous sommes en 2012 et je vagabonde sur “les internets”, en l’occurrence sur Tumblr. Vous savez, ce réseau social que les jeunes de 20 ans trouvent dépassé. Pourtant à cette époque, avoir de nombreux followers sur son tumblr ou son blog (blogspot, skyblog et consort) était déjà un signe d’influence. Instagram en était à ses débuts et n’avait pas encore la puissance et l’impact que nous connaissons aujourd’hui, donc pour se faire connaître ou se démarquer, surtout dans la mode, cela passait souvent par le fait d’avoir un blog. Et donc, lors de ces fameux vagabondages internet, je tombe sur une photo qui m’interpelle et de fil en aiguille me retrouve sur le blog d’un certain Louis Philippe de Gagoue. Et là… Coup de coeur absolu. Je découvre alors pour la première fois ce dandy des temps modernes aux allures de diva avec un style pétillant, audacieux et surtout authentique.
Alors que le début des années 2010 est marqué par une obsession pour le “sartorialisme” dans les tendances masculines, nourri clairement par l’avènement du “street style”, Louis Philippe de Gagoue arrive avec une nouvelle figure : la sienne. Tout droit venu des années 80, non engoncé dans ses vêtements et encore moins dans une tendance. Impossible de ne pas le remarquer tant son style était flamboyant, assumé et pointu. Sequins, imprimés léopard, strass et paillettes, fourrure, tailles hautes ou cintrées, couleur sable ou couleurs vibrantes, son style ne se laissait aller à aucune forme de compromis aussi bien dans la jungle urbaine parisienne que sur une plage de sable fin quelque part à Assinie. Quelques années plus tard, sa couronne dorée, gravée de ses initiales, va devenir un élément signature indissociable de son look. Ne serait-ce qu’avec cette posture mode, il marquait déjà son avant-gardisme en prônant le fait d’être soi de la tête aux pieds. Et pour le coup, il était lui, dans toute son individualité et dans toute sa singularité ! Aujourd’hui, à l’ère des Millenials, cela peut sembler banal, mais replacez vous dans le contexte du début des années 2010 et imaginez que cette authenticité, incarnée à travers son style se manifestait aussi bien à Paris, à Abidjan qu’à Casablanca. Je pense que Louis Philippe de Gagoue n’avait que trop bien compris que ce qui compte c’est l’attitude, le style et la confiance en soi… que seule une profonde connaissance de soi autorise voire exige.
Louis Philippe de Gagoue – Credits : Yasmine Hatimi
Un artiste hors du temps avec une oeuvre riche
Au moment où je le découvre, Louis Philippe de Gagoue est encore étudiant en droit en Tunisie, officie en tant que personal shopper et réalise ses premiers pas dans le monde de l’Influence via son blog. En l’espace de 8 ans, il a opéré une ascension fulgurante en déployant et en exploitant le fil de sa créativité, sa folie et disons-le même sans détour : son génie. Stylisme, photographie, direction artistique, rédaction en chef et édition, il a décidé de tout embrasser. Son corpus photographique se compose aussi bien de lookbook de marques africaines que d’éditos mode pour des magazines tels que Vogue, Modzik, Blonde, avec notamment des coups d’éclats avec les éditos des artistes Dj Arafat, Reniss ou encore une cover pour Vogue Netherlands. Ce qui me plaît dans son travail, c’est à la fois le grain particulier des photos et cette manière bien à lui de sublimer les peaux noires. Mais là où, selon moi, il a réussi à catalyser tout son talent, ses différentes facettes et sa vision, c’est à travers Nikkou Magazine.
Ce magazine de mode expérimental, qu’il a lui-même lancé en 2019, est non seulement un objet d’art, tant l’esthétique et le graphisme apportés y sont léchés, mais aussi un objet culturel qui pose les bases d’une nouvelle éducation mode. En effet, selon moi, la force de Louis Philippe de Gagoue c’était d’avoir cette maitrise d’une culture mode dite classique car il était capable d’apprécier l’impact d’un Jean-Paul Gaultier aussi bien qu’un Azzedine Alaïa ou d’un Chris Seydou, tout en ayant un oeil pour dénicher les nouveaux talents de demain. Avec ce magazine haut en couleur, au nom japonais, aux éditos mode faisant la part belle aux marques de luxe européennes et ouvert sur le monde, certains ont tôt fait de le catégoriser comme un simple magazine international. Certes, il l’est à n’en pas douter, mais dans sa démarche Louis Philippe de Gagoue y a apposé une africanité tout aussi certaine. Cela passe par cet hommage systématique qu’il fait aux Anciens, à ceux qui étaient là avant nous, qui ont eu un impact majeur dans leur domaine et dont les noms restent parfois soit peu connus du grand public ou dont on a pas su prendre toute la mesure. Je pense notammant aux articles sur les designer Patrick Kelly, Xuly Bët ou encore le fait de mettre Naomi Campbell en cover du 1er numéro. Nikkou Magazine éduque en ravivant les mémoires et en donnant la parole à ceux qui feront la mode de demain. Réussir cette gageure de conjuguer passé, présent et futur est selon moi aussi une marque d’avant-gardisme.
Louis Philippe de Gagoue était définitivement hors du temps. Le style, l’audace et la joie de vivre du Paris/Abidjan/Yaoundé des années 80 s’étaient incarnés en lui. Pour autant, il a eu cette capacité à agir dans le présent pour donner vie à sa vision, ses idées et être dans le futur. Louis Philippe de Gagoue n’est plus, mais il a joué sa partition et apporté sa contribution dans la valorisation de la créativité africaine. Il savait que la vie est belle, non seulement il l’a compris, vécue et cela lui a permis toutes les audaces. Sa disparition soudaine est un électrochoc qui nous rappelle ô combien la vie est fragile, dans ce monde qui devient de plus en plus incertain et que l’on se doit, tous autant que nous sommes, de jouer notre partition à notre guise, en allant dans l’essence des choses qui nous anime.
Le motto de Nothing But the Wax a toujours été de “Raconter, Inspirer et Célébrer”. Plus qu’un leitmotiv, c’est un mot d’ordre que je complète aujourd’hui en disant “Sachons également nous célébrer vivant !”.
LOUIS PHILIPPE DE GAGOUE
Crédits photos : Louis Philippe de Gagoue
Ligne 1 : Les covers de Nikkou Magazine
Ligne 2 : « In your Wildest dreams » pour Vogue Italia
Ligne 3 : « Oh Lord! Save me from the Fire of Hell »
ligne 4 : Edito avec Dj Arafat pour Modzik
Ligne 5 : Jean-Paul Gaultier X Nikkou X Asna Naiha
Ligne 6 : Vlisco & Co X Nikkou X Olooh Concept


















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