
CORONAVIRUS & INDUSTRIES CREATIVES AFRICAINES : QU’EN-EST-IL ?
PAR CHAYET CHIENIN
28 MARS 2020
TRIBUNE
Suite à l’émergence de la pandémie de coronavirus que nous vivons actuellement, la marche du monde, telle que nous la connaissions, semble remise en question. Les marchés financiers bousculés, les économies en turbulence, les salariés en chômage partiel, des grandes entreprises du CAC 40 aux PME en passant par les indépendants, tout le monde subit de plein fouet cette crise majeure et inédite. Alors qu’en Europe on parle de soutiens aux ménages et entreprises voire même de déblocage de fonds d’urgence, qu’en-est il en Afrique ? Quel est l’impact de ce virus dans le secteur des industries culturelles et créatives?
Annulations et reports d’événements
En l’espace de quelques semaines, beaucoups d’organisations ont dû revoir leur calendrier et faire le choix de reporter voire tout simplement d’annuler leurs événements par mesure de précaution face à la menace du covid-19. Dans de nombreuses situations, la mise en place de mesures de confinement et/ou couvre-feu ne leur a pas laissé le choix. C’est le cas de nombreux fashions shows tels qu’Accra Fashion Week (Ghana), Arise Fashion week (Nigéria) ou encore la SA Fashion Week en Afrique du Sud qui ont tous été reportés. Dans le monde de l’art, même constat : la 14eme édition de la biennale de Dakar, pourtant très attendue pour son 30ème anniversaire, a été reportée sine die.
Simple report perçu comme un effet timing pour certains, il peut dans d’autres cas s’agir d’annulations pures et simples avec des conséquences plus lourdes. C’est le cas du trade show Afriq Vision prévu pour mi-avril à Grand Bassam en Côte d’Ivoire et contraint d’être annulé. Créé par la créatrice ivoirienne Loza Maléombho, il s’agissait de la première édition d’un événement dédié aux professionnels de la mode et du textile, avec une envergure internationale et dont les retombées devaient soutenir également le secteur du tourisme. Pour le moment, difficile de se projeter sur une nouvelle date compte tenu des prochaines élections ivoiriennes prévues en Octobre 2020, autre paramètre qui crée également de l’incertitude quant à la situation politique du pays.
Baisse de la consommation, fermeture d’ateliers et trésoreries fragilisées
Certains se demanderont “mais pourquoi elle vient nous parler de mode et de culture alors qu’on est en pleine crise sanitaire au niveau mondial ??!” Pour certains, la priorité est uniquement sanitaire. Mais cette crise se double d’une crise économique et pour ce qui est de l’Afrique, il nous faut bien en comprendre ses réalités.
Ces mesures exceptionnelles ont pour conséquences des fermetures d’ateliers, de boutiques, concept stores et galeries, donc un impact direct sur le business. A Abidjan, Moulaye Tabouré, CEO d’Afrikrea.com, marketplace en ligne dédiée à la mode africaine, reconnaît que même s’ils sont ceux qui souffrent le moins de la situation, ils subissent un ralentissement drastique de la consommation sur la plateforme avec une baisse des ventes de 30 à 50% selon les jours.
A Dakar, la créatrice Alia Baré a dû fermer son showroom. “Je ne sais pas combien de temps on va tenir mais on s’accroche. C’est terrible ce stress car il n’y a plus rien qui rentre mais toujours autant de charges. La solution que j’ai trouvée c’est de faire du stock, cela me permet de maintenir les emplois de mes salariés et de continuer à les payer. Ici nous n’avons pas vraiment de protection sociale, je ne peux pas les laisser comme ça. Tous ces travailleurs dépendent de nous ainsi que leurs familles.”
De son côté, Aboubacar Fofana, est également dans la même situation. Coincé actuellement à Paris pour cause de confinement, ce maître indigo malien de renommée internationale révèle sur son compte instagram ses inquiétudes quant à l’avenir de son atelier et en particulier du sort de ses employés au regard des annulations de commandes et d’un calendrier qui s’amenuise de jour en jour. Qu’en est-t-il pour ceux dont l’unique moyen de subsistance est menacé, surtout dans des pays où l’état-providence reste une vague chimère propre aux pays occidentaux ? Ils sont tailleurs, brodeurs, teinturiers, artisans, ces petites mains comme on les appelle, forment pourtant un tissu social et économique important. Je m’épanche sur des exemples du monde textile, mais il en est également de même pour le monde de l’art et de la culture de manière générale.
Où sont les plans d’aide et d’urgence ?
Alors que l’on nous promettait à coup de forums et conférences un avenir radieux pour le secteur des industries culturelles et créatives en Afrique, alors que l’on célébrait dans la joie les succès des designers Kenneth Ize, Thebe Magugu et Imane Ayissi lors de la dernière Fashion Week Parisienne, alors que l’on constatait l’influence indéniable de l’Afrique dans le monde en termes d’art et d’esthétique … Que fait-on maintenant ? Va-t-on laisser une industrie en pleine construction mais aux pieds d’argiles s’effondrer ?
Quid des bailleurs de fonds, qui criaient à tout va leur soutien aux industries créatives africaines ?
Quid des institutions qui parlaient de lever des fonds pour les industries créatives africaines ?
Quid des fonds européens pour soutenir le développement de l’Afrique ?
Quid des argentiers de la fameuse “saison africaine” qui veulent valoriser la création contemporaine africaine ?
C’est MAINTENANT qu’il faut agir pour soutenir ces industries !
C’est MAINTENANT qu’il faut montrer qu’il ne s’agissait pas de vains mots ou juste d’éléments de langage à des fins politiciennes ou pour rallier à soi des financements internationaux !
Paradoxalement, c’est aussi maintenant que l’ON VA VOIR QUI EST QUI. Le moment est venu de cesser de considérer le secteur culturel comme un simple faire-valoir mais de comprendre qu’au-delà de la “hype” certaine qu’il génère, un éco-système avec un marché et une chaîne de valeur est en train de se mettre en place. Le nouvel ordre du monde post coronavirus ne sera plus plus le même, il nous appartient de repenser nos modèles, nos stratégies pour faire surgir de ce chaos une nouvelle ère, une re-naissance.
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