Avec sa marque de cosmétique Mata & Buki, Violaine Faye promeut une beauté clean, Made in Rwanda avec une approche “slow”.
“Donc en 2020, parce que ces marques sont célèbres, très fortes en marketing voire en greenwashing avec un réseau de distribution mondial et massif, on continue à s’enduire le visage et le corps de pétrole ? C’est charmant.” C’est par ces mots sans détour et sans complaisance clamés lors d’un coup de gueule lancé sur Instagram, que nous découvrons la fondatrice de Mata & Buki. Elle s’appelle Violaine Faye, est franco-rwandaise et promeut une approche clean et holistique de la beauté. Avec humilité, franchise mais aussi dans une constante quête d’amélioration, Violaine Faye nous fait découvrir sans fard les coulisses de sa marque.
Violaine Faye, fondatrice de Mata & Buki
« J’ai travaillé dans le domaine de la santé pendant 15 ans, donc faire une marque de beauté clean pour moi c’était juste la base. Il était hors de question que je commence à faire quelque chose qui aille à l’encontre de la santé. »
Credits : Wilma – Valocontent
C’est quoi Mata & Buki ?
Mata & Buki est une gamme de soins naturelle pour le visage, le corps et les cheveux, composée d’huiles végétales de très grandes qualités, produites au Rwanda dans la banlieue de Kigali. Nos huiles sont pressées à froid, concrètement cela veut dire qu’on introduit les graines de fruits de la passion, chia et moringa dans une presse mécanique, lors de la première presse c’est l’huile la plus pure, chargée de tous ses acides gras, vitamines et minéraux qui est extraite. Ces huiles sont ensuite filtrées mécaniquement pour enlever les résidus sans aucun autre traitement chimique ou chauffe qui pourrait détériorer sa qualité.
Je suis très sensible aux méthodes de production et en particulier au méthode de travail “slow”, d’un point de vue de la qualité mais aussi ce que cela implique au niveau de l’impact environnemental. C’est pour cela que nous fonctionnons à la demande, il n’y a pas de surproduction derrière. Il y a aussi une gamme de savons fabriquée en France par contre, car j’y vis depuis 3 ans maintenant et cela aurait été compliqué pour moi de suivre une production en étant loin. Pour l’instant c’est comme cela qu’on procède, mais rapatrier la production au Rwanda fait partie des projets futurs.
Avant Mata & Buki, quel était ton parcours professionnel ?
J’ai commencé comme infirmière, ensuite je me suis orientée vers l’humanitaire en intégrant Médecins Sans Frontières avec un rôle de superviseur d’unités de soins au Sud Soudan, en Centrafrique et à Haïti dans le domaine des maladies infectieuses. Quand j’étais sur place, je me posais beaucoup de questions sur notre rôle en tant qu’ONG extérieure qui vient “apporter une solution aux malheureux en Afrique”, du coup je me suis remise en question et je n’étais pas tout à fait à l’aise de prendre part à cela même si je ne remets pas en cause le travail de cette structure sur le terrain. Je me suis remise aux études en obtenant un Master de santé publique à Londres. Ensuite, j’ai travaillé 10 ans à Santé Publique France, un organisme de santé qui gère la surveillance d’un certain nombre de maladies à potentiel épidémique. J’étais dans le département international et tropical où j’ai suivi notamment des épidémies comme Ebola ou chikungunya.
Depuis des années, j’avais envie de pouvoir travailler au Rwanda, de me confronter à la routine et à une vraie vie là-bas; On avait également à cœur avec mon mari, aussi rwandais, de pouvoir transmettre le goût du pays à nos enfants. Nous sommes partis et c’est là-bas que tout a commencé. D’ailleurs, ma dernière expérience professionnelle m’a totalement vaccinée du salariat.
Comment as-tu eu l’idée de créer ta marque de cosmétique ?
C’était au détour de conversations avec les copines et les cousines, on se plaignait souvent de ne pas avoir de produits naturels disponibles pour s’occuper de nos cheveux et de notre peau. En fait, au Rwanda comme en France d’ailleurs, le marché des cosmétiques est encore largement saturé par tous les produits conventionnels par opposition au secteur naturel et bio. Il est plus facile de trouver des produits américains qui ont beaucoup voyagé et dont la composition n’est pas toujours très satisfaisante que des produits naturels. On s’étonnait de constater qu’au Kenya ou en Tanzanie et de manière générale en Afrique de l’Est, on produisait des huiles de macadamia, de coco et autres sans y avoir accès facilement sur place. Alors évidemment au Rwanda nous n’avons pas la mer, la biodiversité est différente, mais pour autant on a un climat qui permet de faire pousser énormément de choses et nos arbres sont capables de produire ces huiles là propres au pays d’une excellente qualité. Et puis, j’ai finalement découvert cette petite entreprise qui produit des huiles végétales, je suis rentrée en contact avec eux et je me suis dit qu’il fallait qu’on puisse créer une marque pour répondre aux besoins des rwandais et faire connaître le bienfait de ces huiles en dehors des frontières du Rwanda. J’ai travaillé dans le domaine de la santé pendant 15 ans, donc faire une marque de beauté clean pour moi c’était juste la base. Il était hors de question que je commence à faire quelque chose qui aille à l’encontre de la santé.
C’est en rentrant en France, pour des raisons familiales, que j’ai commencé à travailler sur ce projet de marque. Forcément, les gens quand ils entendent parler du Rwanda, ils ont toujours des images un peu difficiles en tête parce qu’une partie de notre histoire, qui a été beaucoup médiatisée, est dramatique. Mais le Rwanda d’aujourd’hui est associé à de nouvelles choses et c’était l’occasion aussi pour moi de porter ce message et de montrer ce qu’il y a de beau au Rwanda.
Si l’on regarde bien, la plupart des matières premières utilisées en cosmétiques proviennent d’Afrique, d’Amérique latine ou d’Inde mais la plupart des marques américaines ou européennes ne communiquent que rarement sinon jamais sur la provenance des matières premières. Et pourtant ces marques là ne se sont pas faites toutes seules et la plupart du sourcing ne se fait pas en Europe. Donc, c’était quand même important pour moi de dire que nos huiles sont rwandaises, que nos savons sont fabriqués à partir d’huiles végétales “sourcées” en Afrique de l’Est et donc nous sommes capable de les retracer, nous savons qui les fabrique et comment on les fabrique.
Donc il y avait une volonté intrinsèque de vouloir produire en Afrique?
Oui, d’autant plus que moi à l’origine je n’avais pas du tout prévu de quitter le Rwanda. Quand j’ai commencé à réfléchir au projet, il ne ressemblait pas tout à fait à ce à quoi il ressemble aujourd’hui. Il a évolué avec la vraie vie et les réalités familiales. Par exemple, J’avais prévu de pouvoir tout produire sur place en ayant une unité de production qui puisse tout faire de A à Z, dans un souci de création d’emploi et transfert de connaissances car au Rwanda il n’y a pas encore à proprement parler d’usines de cosmétiques. Dans le secteur des cosmétiques, on est contraint par une réglementation européenne qui est assez contraignante, mais à juste titre puisqu’il s’agit de produits que l’on se met sur la peau. Cette réglementation s’apparente presque au secteur du médicament avec cette même rigueur, donc on ne peut pas faire n’importe quoi et produire n’importe comment. On doit se procurer une autorisation de mise sur le marché, tous les produits doivent être validés par un toxicologue agréé avant de pouvoir déclarer au centre européen anti-poison et le conditionnement. Moi, ce qui m’a freiné pour pouvoir tout faire de A à Z au Rwanda c’est la question du conditionnement, car on doit passer également par un laboratoire même si c’est juste pour mettre en bouteille une huile. Du coup, j’ai dû travailler avec un labo dans le sud de la France qui s’occupe du conditionnement pour pouvoir être autorisée à vendre les cosmétiques en France et en Europe.
Si tu avais trouvé un laboratoire au Rwanda, est-ce que les normes auraient été les mêmes et est-ce que tu aurais pu commercialiser tes produits en Europe?
Il y a un certain nombre de normes qui existent pour le moment mais pour ce qui est du produit fini, elles ne répondent pas aux exigences de ce que l’on attend en Europe. D’ailleurs, la législation américaine est totalement différente, on peut globalement dire qu’elle est même moins contraignante que la législation européenne. Pour moi, c’est important que tout soit fait au Rwanda mais cela voudrait dire qu’il faille monter un laboratoire ou que je m’associe avec quelqu’un pour pouvoir créer un laboratoire aux normes internationales. Il y a aussi la question du circuit, pour moi ce n’est pas encore satisfaisant d’avoir des produits qui sont produits au Rwanda, conditionnés en France et qui retournent au Rwanda pour être vendus. D’une part, en termes d’impact écologique ça me dérange et d’autre part, cela ne me permet pas d’avoir des prix attractifs pour les Rwandais. En termes d’accessibilité-prix, j’aimerais faire beaucoup mieux et cela fait partie des axes de développement futur de ma marque. Idéalement, il faudrait une chaîne de production destinée au marché rwandais et africain et une autre pour l’étranger qui répondraient aux mêmes exigences de qualité.
Qu’en est-il de la distribution de Mata & Buki ?
J’ai lancé mon site en février 2020 et pour le moment je privilégie la vente en ligne. C’est vrai que c’est important en termes de crédibilité d’être présent en boutique, c’est comme une sorte de validation pour un certain nombre de personnes. A Kigali, la marque est distribuée dans la boutique Anali création et chez Haute- Baso, à Genève chez WUA Lab (le nouveau concept store créé par l’équipe de Wax Up Africa) et la boutique Front de Mode à Paris. Mata & Buki est disponible aussi sur afreecom.net, une nouvelle marketplace qui s’appuie sur un réseau de distribution en point relais dans 9 pays africains et qui a l’ambition de devenir le prochain Amazon africain.
Quel est le profil de ta cliente type et quels sont tes best seller?
Je dirais qu’il y a 2 profils types sensibles au message véhiculé par ma marque : beaucoup d’afrodescendantes, notamment du Rwanda car on a un côté très patriote, dans le sens où on aime soutenir les marques rwandaises. Sûrement aussi parce que chez les femmes afrodescendantes nous avons une véritable culture de l’utilisation des huiles et beurre qui nous a été transmise. Le deuxième profil type c’est plutôt des gens qui sont dans une démarche écologique et zéro déchet.
Ensuite, Le best seller c’est l’huile de Moringa, c’est une huile dont les propriétés et les bienfaits sont déjà reconnus. Puis, l’huile de fruit de la passion, peut-être parce qu’à l’inverse elle est moins connue et suscite la curiosité.
Comment envisages-tu les prochains mois ou la prochaine étape?
A moyen terme, j’aimerais sortir l’huile de macadamia dont je suis fan et proposer également une routine de soin complète avec un nettoyant visage et un sérum.
Selon toi, quelles seront les futures tendances dans ton secteur en Afrique et en Europe?
J’ai envie d’être optimiste : L’avenir va se jouer avec la génération qui nous succède, qui est beaucoup plus consciente de ce qu’elle consomme, des impacts sur l’environnement que ce soit en Afrique ou dans le monde. Cette génération a vraiment conscience qu’on partage la même planète, elle le réalise et tente d’aligner ses actions avec ces valeurs. Si l’on regarde les chiffres dans le secteur de la cosmétique, la part de la cosmétique bio, clean ou naturelle par rapport à la cosmétique conventionnelle prend une part de plus en plus importante, ça intéresse aussi les grosses marques parce qu’elles savent qu’il y a des parts de marché à prendre, donc je pense qu’on peut être optimiste sur l’avenir de ce point de vue là. Néanmoins, le changement sera progressif. Je rêve d’un changement radical, y compris politique, mais je doute de la capacité de notre société à changer comme cela.
Site : https://mata-buki.com
Instagram : https://www.instagram.com/mataetbuki/
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