
UN TROUBLE FÊTE NOMMÉ BADI
PAR CHAYET CHIÉNIN
01 DÉCEMBRE 2020
Sur des paroles cinglantes et un rythme enjoué, “Trouble-fête”, le nouvel album de Badi, porte bien son nom.
Un ton caustique, des rimes mordantes et une esthétique léchée, vous êtes prévenu(e)s, Badi ne passe pas par quatre chemins. Le trouble-fête, c’est lui ! Celui qui empêche de tourner en rond, celui qui vous pousse dans vos retranchements, celui qui vient gâcher la fête. Les mots claquent, frappent et sonnent dans la tête, dès le premier titre “Mauvaise ambiance”, l’artiste annonce déjà la couleur. Mais le trouble-fête c’est aussi celui qui vous permet la remise en question, la prise de distance et de recul et c’est aussi pour cela qu’il est intéressant d’écouter ce nouvel opus de Badi. Rencontre avec l’artiste !
« Il y a 20 ans, quand tu rappais c’était important d’avoir une plume et de ne pas raconter de la merde. »
Qui es-tu et dans quel environnement as-tu grandi ?
Moi c’est Badi, de mon vrai nom Badibanga Ndeka. Je suis né à Bruxelles, j’ai 39 ans. Mes parents viennent du Congo Kinshasa, ils sont arrivés en 1977 en Belgique. J’ai vraiment grandi dans la communauté congolaise de Bruxelles, entre ce milieu très culturel et intellectuel congolais en parallèle à l’école belge. J’avais un père qui nous a beaucoup poussés dans la culture. C’est un peu le monde dans lequel j’ai grandi.
Qu’est-ce qui t’as amené à te lancer dans la musique?
Je n’ai pas vraiment fait d’études parce que j’ai commencé la musique très tôt, à l’âge de 14 ans. Ce qui m’avait poussé, comme je grandissais dans cet environnement congolais, y’avait un membre qui jouait du saxo qui s’appelait papa Rondo qui m’ avait offert un saxo enfant. Ado j’ai découvert le rap. A 18 ans j’ai sorti mon premier album avec ce groupe là, où on retrouvait déjà des gens comme Youssoupha, Monsieur R. Très vite la musique a pris le dessus sur les études. Quand j’ai quitté le groupe pour me produire en solo sous le nom de Badi, j’avais envie de me recentrer, c’est à ce moment-là que j’ai fait des études de management & production artistique pour comprendre un peu mieux le monde de la musique dans son aspect business.
Donc déjà une carrière de 20 ans dans la musique !
Ouais c’est vrai, j’ai eu beaucoup d’aventures en fait. J’ai fait le Chant D. Loups qui était un premier groupe de rap qui a marché sur la belgique et même sur la France. C’était l’époque ou on avait des articles dans le Groove, dans Radikal, après j’ai rappé en solo sous le nom de Badi Banx, puis Badi à partir de 2010 parce que tout le monde m’a toujours appelé Badi de mes parents à mes amis. J’ai toujours aimé le rap, mais musicalement j’avais envie de revenir à quelque chose qui me ressemblait davantage, c’est-à-dire avec les racines congolaises, le côté pop musique avec lequel j’ai grandi mine de rien. J’avais aussi envie de m’assumer en tant que Badi tout simplement. Donc en 2010, j’ai tout recommencé à zéro sous mon vrai nom.
Entre ce 1er album à 18 ans et ce dernier “Trouble fête”, 20 ans se sont écoulés. Comment ton discours a-t-il évolué ?
Il y a 20 ans, quand tu rappais c’était important d’avoir une plume et de ne pas raconter de la merde. Mon discours a évolué mais il n’a pas tant changé parce qu’il y avait déjà beaucoup de références à l’Afrique et à l’injustice. Déjà à ce moment-là, je parlais de tout ça mais avec une vision de quelqu’un de 18 ans avec un attachement à une culture de quartier et aux amis du quartier. Avec ce dernier album, je pense avoir une vision plus globale des choses. Dans la construction de l’album “Trouble-fête”, on voulait faire quelque chose d’un peu panafricain : il y a Boddhi Satva qui vient de Centrafrique, il y a des sons qui sonnent plus “Naïja” ou d’autres plus dans la rumba, voire même plus dance hall.
Sur cet album, j’ai voulu amener une autre posture. Dans le précédent, c’était une écriture très personnelle, je parlais beaucoup de l’histoire de mes parents, c’est mon père en plus qui fait le narrateur. Cette fois-ci, j’avais envie d’aller dans l’universel, parler plutôt des autres, et c’est pareil pour l’esthétique.
On retrouve beaucoup cette culture de “l’Atalaku” dans pas mal de titres comme “Kitendi” ou “Virgil Abloh”. En quoi Virgil Abloh t’inspire-t-il ?
Le personnage de Virgil Abloh m’a inspiré de par son parcours, ne serait-ce qu’à travers son travail avec Off White mais aussi en tant que directeur artistique de Louis Vuitton. Autant dans “Kitendi” je cite des marques comme Armani, Gucci etc… Autant je me disais que c’était bien aussi de faire un clin d’œil à quelqu’un comme Virgil Abloh qui personnifie bien, selon moi, cette influence que les artistes Noirs ont sur la pop culture ou la culture de masse.
Dans “Kitendi”, il y a cet hommage à Papa Wemba, aux Anciens mais aussi à la sape.
Justement, le clip c’était pour dire que ça s’appelle Kitendi et non la sape ! Kitendi, c’est la religion du vêtement si je dois le traduire en français. Dans un passage, je dis “venu pour être diplômé, tonton finit par chômer”. Avec cette chanson, l’idée c’était surtout de décrire un lifestyle, ce lifestyle des sapeurs qui m’intéresse. Quand ce mouvement est né au Congo, on ne pouvait pas porter de costumes, il fallait qu’on porte l’abacost, donc il y a cet aspect contre-culture qui m’intéresse dans le kitendi. Pour moi, Amah Ayivi et Art Comes first représentent bien cette contre-culture africaine en ce moment, Je trouvais que c’était un excellent pont que ce soit eux qui réalisent le clip.
Dans une époque où la nouvelle génération se reconnecte à son histoire, est-ce que tu considères que tu es dans ce retour aux sources ?
Dans mon cas, ce n’est pas un retour aux sources. Mes parents m’ont toujours fait baigner dans la culture congolaise c’est-à-dire on parlait lingala et Tshiluba à la maison, ils ne m’ont pas donné de prénom européen, c’est ma culture en fait. Mon retour réel aux sources c’est lorsque j’y retourne physiquement en 2013 , là bas j’ai pu valider un peu tous les acquis que mes parents m’avaient donnés.
Dès le 1er titre de l’album, “Mauvaise ambiance”, le ton est donné. Il est noir, caustique et critique. Quels sont les messages que tu essaies de faire passer dans ce nouvel album ?
J’aime bien parler de choses sérieuses et ne pas me prendre au sérieux aussi. Le but c’était de parler de sujets d’actualité liés au monde actuel sans que cela soit relou pour celui qui écoute, avec une musique assez festive qui fait le contre pieds et fait passer le message plus facilement, sans pour autant tomber non plus dans ce que vous appelez en France “le rap conscient”. C’est pour cela qu’il y a ce second degré, parce que je ne veux pas me positionner sur le ton du donneur de leçon.
En Belgique, vous l’appelez comment “le rap conscient” du coup ?
Peut-être parce qu’on a pas la même histoire avec le rap, pour moi de base il n’y a pas de rappeurs inconscients, même ceux qui rappent sur des sujets légers sont autant conscients que ceux qui rappent sur des sujets moins légers comme Kery James par exemple. Il suffit de regarder un peu la majorité des artistes qu’on a en Belgique : on a toujours eu un côté décalé, un ton très belge qui consiste à ne pas se prendre au sérieux même lorsqu’on parle de choses très sérieuses.
Pour en revenir à ce ton caustique et critique que tu as, t’autorises-tu à l’avoir également sur des sujets d’actualités propres au Congo ?
Oui ! J’ai même commencé par le Congo puisqu’un des morceaux sorti à l’époque avec Youssoupha s’appelle “243” et on revenait sur tout ce qui se passait au Congo. Par contre, je sais qu’au Congo c’est un peu mal vu, du coup le son n’était pas diffusé en radio car jugé “polémique”. Idem pour le morceau où je parle du Docteur Mukwege. Par rapport à la situation des artistes au Congo, il y a le mouvement des Combattants et j’ai eu l’occasion de discuter avec quelques membres. C’est vrai qu’ils vont s’en prendre à des artistes comme Fally Ipupa ou Koffi Olomidé, mais moi je leur ai demandé si la solution c’était pas aussi de mettre en avant des artistes qui prennent le risque et parlent de certaines choses ? Dans ce sens là, je n’ai personnellement pas de soutien de ce genre de mouvement qui se dit combattant.
Il y a toute une scène d’artistes belges qui cartonnent en ce moment. On semble le découvrir récemment ou cela a toujours été comme ça?
Je ne dirais pas que ça a toujours été comme ça, même si on a quand même eu Jacques Brel et qu’il y a un ton belge, une posture qui existe depuis longtemps. Par exemple, Benoît Poelvoorde a apporté quelque chose dans le monde du cinéma en assumant son accent belge. Idem pour Stromae dans la musique : il a ouvert les portes, a apporté ce surréalisme et ce côté décalé que les français ont un peu moins.
Les médias ont tendance à uniformiser les choses notamment dans la création artistique et souvent lorsque cette création artistique est faite par des artistes Noirs, tout de suite on va parler de tendance. Sens-tu venir cette facilité de te classer dans une nouvelle catégorisation du type “la nouvelle vague afro” ou bien arrives-tu à échapper à cet écueil ?
Non, je n’y échappe pas. Par exemple, ce matin j’ai fait une interview et d’office on m’a parlé de Baloji et Lous & the Yakuza. J’ai paraphrasé un truc que Lous disait parce qu’on la comparait souvent à Aya Nakamura, juste parce qu’il y a une autre fille noire qui fait de la musique. Baloji est là depuis longtemps, tout comme moi. On est congolais, on vient de Belgique, on a des références communes mais on a aussi chacun notre singularité. Mais encore une fois, c’est ce que la majorité des artistes Noirs reprochent à la presse généraliste, on nous met tous dans le même panier. Il y a vraiment un manque de nuance. En fait, ce n’est même plus un manque de nuance, c’est surtout un manque de considération vis-à-vis de notre travail. Je trouve qu’à un moment ça devient juste fatigant. J’aime vraiment la singularité et comparaison n’est pas raison.
Quel est le livre qui t’a marqué dernièrement ?
“Délivrances” de Toni Morrison.
Quel est le dernier album qui t’a mis une claque ?
“La menace fantôme” de Freeze Corleone
Quel est le clip qui t’a mis une claque dernièrement ?
Je ne m’y attendais pas du tout mais c’est “Immortel” de Maitre Gims
Site : http://www.jesuisbadi.com
Instagram : @jesuisbadi
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