
AWA LY : ENTRE BLUES, JAZZ ET INTROSPECTION
PAR CHAYET CHIENIN
08 AOÛT 2020
Awa Ly lance son deuxième album “Safe & Sound”, une invitation à la douceur et à l’introspection.
Avez-vous déjà entendu la voix d’Awa Ly ? Elle fait partie de ces artistes qui n’ont pas besoin de fioritures autour d’elle pour magnifier sa voix. Bien au contraire, quand elle chante ne serait-ce qu’en a capella toute l’émotion et la profondeur de sa voix se révèle et touche droit en plein coeur. Avec “Safe & Sound”, son deuxième album studio, Awa Ly balade sa voix et sa sensibilité aux rythmes des titres folks. Avec son ton si apaisant et doux, on croirait même que l’album a été taillé pour être écouter chez soi, au calme ou encore dans les transports mais avec un bon casque.
Credits : Oyé Diran
« Je ne sauve pas des vies comme le font les médecins et infirmiers mais je pense que la musique reste une médecine douce pour l’âme, le coeur, le mental et le psyché. »
Le hasard du calendrier a voulu que ton nouvel album “Safe and sound” sorte pendant le confinement. Comment as-tu vécu la chose ?
Tout s’est passé tellement rapidement par rapport au confinement que l’on a pas trop eu le temps de décider de reporter la sortie de l’album. D’autant plus que les copies physiques étaient déjà arrivées chez les distributeurs. C’est vrai qu’on aurait pu retarder la sortie digitale, mais avec un album qui s’appelle “Safe & Sound”, une expression anglaise qui veut dire “sain et sauf”, on s’est dit que c’était son destin de sortir à ce moment compliqué, difficile pour ne pas dire tragique. Les dates de concerts ont été annulées, il a fallu prendre son mal en patience, avoir beaucoup de courage, de discipline et de responsabilité individuelle et collective. “Safe and sound” est un titre que j’avais choisi comme titre de l’album il y a des mois et des mois. C’est un album qui se veut introspectif et rassurant, c’était son moment de sortir. Il y a des choses que tu fais, que tu penses, qui t’échappent ensuite et qui ont une résonance plus tard que tu n’aurais pas pu imaginer. Je ne sauve pas des vies comme le font les médecins et infirmiers mais je pense que la musique reste une médecine douce pour l’âme, le coeur, le mental et le psyché. L’art peut être thérapeutique mais il est aussi “entertaining”, c’est évident cela permet de s’évader, de s’amuser. Il y a différents niveaux de lectures.
Quels sont les thèmes majeurs que tu abordes dans cet album ?
Les thème principal dans “Safe and Sound” c’est d’abord la relation avec soi, l’introspection. Ce n’est pas tout le monde qui a la possibilité même en période de confinement de pouvoir s’isoler vraiment et de prendre du temps pour soi. Une introspection pour essayer de se connaître. Est-ce que l’on se connaît vraiment jusqu’au bout pendant toute une vie? Quand on veut faire une introspection, il n’y a pas besoin d’aller faire l’hermite tout là haut dans une montagne, il y a des choses que l’on peut faire très simplement tous les jours pour pouvoir se connaitre un peu mieux, ce qui permet de mieux interagir avec tous ceux qui nous entourent humainement, spirituellement mais aussi vis-à-vis de la nature. Le covid 19 vient nous montrer à quel point nous sommes tous dans la même barque. Si y a des gens qui en doutaient, aujourd’hui c’est criant de vérité, nous ne sommes qu’un malgré ou grâce à toutes nos différences, nous ne formons qu’un.
C’est d’ailleurs ce que tu exprimes dans la chanson “Are you satisfied” en duo avec arthur H.
Oui tout à fait. C’est la chanson la plus cynique et la plus ironique aussi de l’album. J’y parle de la nature qu’on détruit et du jour où l’on aura pêché le dernier poisson, coupé le dernier arbre et pollué la dernière rivière, est-ce que l’on se rendra compte qu’on ne peut pas manger l’argent ?
Par rapport à la situation liée au Covid19, j’espère qu’on sortira tous de cette histoire en étant conscient de notre fragilité, qu’on est peu de choses sur cette planète, pour que la véritable empathie et solidarité prennent place et qu’on se rende compte qu’on ne forme qu’un. Si on ne sort pas de cette histoire en ayant plus de conscience écologique et sociale, des manquements et besoins, je crois qu’on aura loupé un coche.
Le clip de la chanson “close your eyes” est très puissant ! On y retrouve un hommage à Alaa Salah devenue icône de la révolution soudanaise ! Peux-tu nous en dire plus sur sa genèse?
J’ai écrit cette chanson bien avant la révolution au Soudan en avril 2019. J’avais été très surprise et impressionnée par cette photo d’Alaa Salah sur cette voiture au milieu de la foule. Au départ je n’avais pas compris qu’elle chantait, parce que je n’avais vu que la photo. Je pensais même qu’elle faisait un discours, alors qu’elle chantait des chants révolutionnaires; Cette photo était d’une force ! La beauté et la force de son geste m’ont profondément touché; Avec le réalisateur Jessy Nottola et mon manager Matthieu Remond, nous nous sommes inspirés d’elle pour ce clip tourné à Dakar, à la Médina, un des quartiers les plus populaires de la ville. La population a participé pleinement au clip, c’est une journée dont je me souviendrai longtemps.
En novembre 2019, tu étais sur la scène du forum de Saint Louis à Berlin pour un a cappella magnifiquement chanté en wolof. Pourquoi le choix unique de la langue anglaise sur l’album?
J’ai grandi dans une maison où il n’y avait pas forcément de musiciens mais avec des parents très mélomanes qui aiment beaucoup la musique. Petite, j’ai écouté à travers Papa énormément de jazz, soul et des musiques anglo saxonnes. Il écoutait aussi énormément de musique afro-cubaines donc beaucoup d’orchestres, des musiques ouest-africaines avec une veine de blues comme du Ali farka Touré, Le Super Etoile de Dakar. Même le reggae qu’on écoutait était anglophone. En grandissant, je me suis mise à écouter beaucoup de motown, soul et jazz. J’ai commencé à écrire mes premiers textes en anglais et cela me venait assez facilement, plus facilement que le français alors que je suis née et que j’ai grandi en France. Mes parents me parlaient wolof à la maison et à l’extérieur c’est sûr que c’était essentiellement francophone. C’est beaucoup plus difficile pour moi d’écrire en français ou en wolof même si j’ai commencé à chanter en wolof avec mes amis de Daraji Family. Ce n’est pas que je ne le ferai jamais mais je pense que ce n’est pas encore le moment. Cela dit, je ne me sens pas du tout en défaut de ne pas chanter en wolof ou même en italien alors que cela fait 20 ans que je vis à Rome. Autant je sais d’où je viens, autant je ne me sens pas du tout dans l’obligation par rapport à une langue. Cela viendra mais je cherche aussi les bons partenaires. J’ai la chance d’avoir trouvé Daraji Family mais aussi Ablaye Cissoko qui est pour moi l’un des plus grands joueurs de kora.
Dans quel type de famille as-tu grandi ? Et est-ce que cet environnement a été déterminant dans ton choix de te tourner vers la musique ?
Je pense que oui. Mon père n’était pas étonné quand je lui ai dit que je voulais chanter. Après c’est arrivé très tard, parce que j’ai fait des études et travaillé dans un domaine qui n’ont rien à voir avec la musique. Je faisais du commerce international audiovisuel, je m’occupais de la production de certaines émissions, les droits et la distribution de ces émissions à l’étranger. A un moment, la musique a pris le dessus et j’ai démissionné pour pouvoir me consacrer totalement à ça.
Sinon, j’ai eu une très belle enfance assez sereine. Mon père revenait souvent après le travail avec un vinyle différent, il a aujourd’hui une collection conséquente. D’ailleurs je la récupère doucement doucement ! On faisait du “slow listening”, c’est-à-dire que l’on prenait le temps d’écouter un album, de dire sa chanson préférée, de danser ou chanter par dessus. J’ai grandi à Bagneux dans le 92, juste à côté de la médiathèque Louis Aragon et j’allais très souvent à la discothèque emprunter des CD. Là bas il y avait Elie Chemali, un discothécaire-musicien qui donnait de très bons conseils et m’a indiqué mes premiers disques de Herby Hancock, Keith Jarrett, de grands musiciens de jazz mais aussi du Billie Holiday ou du Sarah Vaughan. Donc je passais des heures à chercher et à écouter. Par contre, mes parents étaient certes mélomanes mais dès qu’ils ont vu que je voulais chanter ils m’ont dit les études d’abord. A l’époque, je n’avais même pas l’idée d’en faire un métier, pour moi ça me semblait complètement hors de portée. C’est en allant participer à des jam sessions avec des amis italiens que j’ai planté la graine petit à petit.
Quel a été ton déclic pour tout lâcher pour te concentrer sur la musique ?
Cela ne s’est pas fait en un déclic, c’est plutôt dans un parcours. A un moment donné cela prenait énormément de place dans ma vie. Après il y a eu la question de la légitimité parce que je n’ai pas été au conservatoire, ni pris de cours de musique. Tout est très instinctif et naturel dans ma démarche. Aujourd’hui encore, je ne dirais pas que c’est totalement résolu mais le soutien, les encouragements et l’enthousiasme des gens me porte et ça me fait du bien de chanter. Cela me faisait déjà du bien à moi et également aux autres.
Tu vis en Italie depuis 20 ans maintenant. Qu’est-ce qui t’a emmené là bas ?
A la base j’y suis allée pour un stage. J’ai fait un programme européen qui s’appelle Leonardo pour aller faire un stage en Italie. J’aimais déjà l’italie avant, je l’ai encore plus aimé à ce moment là. Je devais y séjourner 6 mois et j’ai eu des propositions de contrats et finalement je suis restée. Je suis vraiment tombée amoureuse de Rome, de l’atmosphère. Je m’y sens bien.
On parle souvent d’un racisme particulièrement virulent en Italie. Est-ce que c’est quelque chose que tu as déjà subi là bas?
On me demande souvent comment je fais pour vivre en Italie, que les italiens sont racistes. En vrai, le racisme il y en a partout et c’est pas un truc propre à l’Italie. Honnêtement, il y a des scènes que j’ai pu voir en Italie qui ne sont pas pires que d’autres que j’ai pu voir en France, à Paris notamment. C’est plus une histoire de clichés.Personnellement, je n’ai pas vécu le racisme de manière directe et je pense que c’est parce que j’ai une place de privilégiée, j’ai fait des études et je parle très bien italien. Les rares qui ont osé se permettre certaines choses, c’était pas tant parce que je suis noire mais plus parce je suis une femme. Tu les remets direct à leur place, ils sont surpris de m’entendre parler italien. Oui J’ai fait des études, oui je parle très bien italien si ce n’est mieux que certains parfois. Mais il faut savoir que déjà entre l’Italie du Nord et l’Italie du Sud il y a un clivage, il suffit de voir le parti politique la Lega, qui est le meilleur ami du Front National ici, ils ne parlent même pas que des étrangers hors sol, pour eux, il faudrait diviser carrément l’Italie en deux. Ensuite, l’Italie n’a pas du tout la même histoire coloniale que la France. Je dirais même que là bas les gens sont direct, si tu ne leur plais pas pour une raison ou une autre ils vont te le dire direct, cash et point barre. Il ne faut pas se voiler la face, il y’a du racisme mais pas plus en Italie qu’en France. L’ignorance est prépondérante aussi bien là bas qu’ici et c’est un mélange d’ignorance, de fragilité et d’imbécilité.
Quels sont les 3 mots qui te décrivent le mieux ?
Passionnée, sinon je ne me serais pas lancée dans cette folie (rires). Exigeante envers moi-même et ceux qui m’entourent par rapport à ce que je fais. Empathique, c’est quelque chose qu’on m’a souvent dit quand j’étais petite et même encore aujourd’hui.
Quel est ton dernier coup de coeur culture ?
“Le triangle de l’Hexagone” de Maboula Soumahoro. Je me suis reconnue dans pas mal de ses écrits, c’est très intéressant, très pertinent. Pour moi, cette femme est une lumière.
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