
« NE M’APPELEZ PAS CITOYENNE DU MONDE, JE SUIS UNE AFRICAINE GLOBALE ! »
PAR REBECCA MQAMELO ET TRADUIT PAR DA KATYANOVA
09 MARS 2020
TRIBUNE
Vivre à l’étranger en tant qu’africain soulève de nombreuses questions sur la manière dont nous choisissons de nous représenter nous-même ainsi que notre continent. Rebecca Mqamelo partage son expérience et sa propre lutte avec une identité “d’Africaine globale”.
J’ai récemment écouté l’intégralité de l’album de Burna Boy African Giant . Dans les toutes dernières secondes de la dernière chanson « Spiritual » les mots de sa mère résonnent : « Chaque personne noire devrait se rappeler qu’elle était Africaine avant d’être autre chose ». Cet album marque une étape dans ma vie où mon identité africaine est en train de devenir une part intégrale de ce que je suis.
Quand j’avais 16 ans, j’ai voyagé pour la première fois en dehors de l’Afrique du Sud et je n’ai quelque part jamais cessé depuis. Au lycée, je représentais mon pays lors de nombreuses compétitions internationales de débats et d’éloquence. Aujourd’hui, j’étudie à Minerva, une université non conventionnelle dans laquelle les étudiants vivent dans un nouveau pays à chaque trimestre.
Cover de l’album African Giant de Burna Boy
Mon identité en tant que jeune adulte a été forgée sous la pression d’être une étrangère dans un pays étranger. J’ai vécu aux États-Unis, au Japon, en Corée-du-Sud, en Inde, au Kenya en Allemagne et maintenant en Argentine. L’appréhension de ma propre culture s’est considérablement façonnée en réponse aux limites des cultures qui n’étaient pas miennes. Il y a quelques années, je vous aurai dit que je suis une « citoyenne du monde ». Mais aujourd’hui, je vous dis que je suis une Africaine globale.
L’ironie est inéluctable : Plus je suis éloignée de ma culture, plus je la découvre en moi. Quand tu grandis en entendant les autres te labelliser de « citoyenne du monde », tu commences à questionner le véritable sens de cette expression. Est-ce que le fait que je prenne l’avion et change de pays tous les trois mois font de moi une personne « mondiale »? À quoi le mot « mondial » fait il vraiment référence, quand par principe pour quitter son pays cela implique presque toujours de s’assimiler à la culture prédominante du pays d’accueil ? En cinq ans de voyages incessants, j’ai remarqué quelques similitudes que les citoyens du monde tendent à partager : nous parlons tous bien l’anglais, nous avons assez d’argent pour voyager – et que l’on souhaite l’admettre ou pas – nous sommes assez bons pour confondre notre capacité d’adaptation à notre environnement avec ce que nous sommes réellement.
Il m’a fallu du temps pour remarquer combien c’était dangereux : il est tentant de me définir à travers le nombre de tampons sur mon passeport, de proclamer que j’ai dépassé les frontières et d’embrasser ce style de vie cosmopolitain qui semble si universellement attractif, mais la vérité c’est que je viens de quelque part. Il y a en moi un temps et un lieu qui sont incarnés en moi et qui ne peuvent être effacés. Peu importe la distance à laquelle je m’éloigne de mes origines. Cet endroit est mon ancrage, mon histoire, la pierre angulaire de mon être. C’est ce qui me rappelle constamment mon passé et m’ouvre les portes du futur. Pour moi, cet endroit c’est l’Afrique.
L’émergence culturelle d’une nouvelle identité africaine
Se définir comme un Africain n’est désormais plus une question d’origine, le terme a muté pour devenir un credo de vie. Aujourd’hui, l’Afro-allemand a autant le droit de clamer son identité africaine que l’homme ou la femme qui a grandi dans les rues de Kigali, autant que l’Afro-américain dont les pieds n’ont jamais foulé le sol du continent. Pourquoi est-ce important ? Le terme « africain » a été historiquement étiqueté avec d’autres termes comme arriéré, pauvre et irréparable. Mondialement, certains Africains n’ont pas toujours souhaité être associés à leur héritage culturel. C’était une identité dont ils étaient même désireux de se débarrasser, du moins publiquement. Être « mondial » était suffisant. Les médias n’ont pas aidé non plus. Nous sommes passés de l’incarnation de ce qui est sombre et inconnu (NDLR l’Afrique mystérieuse) à l’image de l’enfant affamé qui pleure. Et plus récemment nous sommes considérés comme les représentants de « nouveaux horizons ». Je sais d’expérience que lorsque tu es constamment défini(e) par les autres, ton identité n’est jamais réellement tienne.
Mais les choses commencent à changer. Si vous regardez attentivement, vous allez voir la percée dans la culture populaire d’une conscience collective d’une nouvelle identité africaine. Dans une interview pour le podcast américain “On Being” sur le film Black Panther, l’écrivaine Zahida Sherman décrit ce phénomène comme « La liberté et l’exaltation des possibilités pour le peuple Noir ». C’est « ce qui arrive lorsque la pensée, l’innovation et la beauté noires deviennent la norme. » Cette nouvelle conscience et esprit sont ce sur quoi repose des films tels que Black Panther ou Les figures de l’ombre. C’est ce que l’on retrouve dans les paroles de chaque chanson de l’album African Giant de Burna Boy. Nous le constatons quand des icônes telles que Beyoncé choisissent d’être habillées par des couturiers Africains. Nous le remarquons aussi en politique. Le Ghana a nommé l’année 2019 comme « L’année du Retour » marquant les 400 ans de la déportation des premiers esclaves Africains sur les côtes américaines. Le Rwanda vient de produire les premiers smartphones entièrement fabriqués en Afrique. Et la liste continue. Je ne sais pas pour vous, mais en ce moment ça fait énormément de bien d’être Africain. Nous sommes à un moment dans l’histoire où les Africains partout dans le monde – fils de la diaspora, Afro américain, immigrés de première génération – se re-connectent à leur héritage Africain. Ma génération est au cœur d’une merveilleuse histoire d’amour, nous sommes enfin en train de réaliser que l’essence de notre africanité est ce qui nous rend beaux, intelligents, audacieux, optimistes et spirituellement doués.
Remettre les choses dans leur contexte
Mais alors pourquoi ce grand changement est d’abord perçu par les Africains qui voyagent ? Comme le dit si bien un de mes amis originaire du Nigeria «tu sais ce qui est le plus dingue ? C’est que ces conversations ont lieu absolument partout SAUF en Afrique ». Je pense simplement que nous ne nous valorisons pas assez les uns les autres (ou nous ne nous rencontrons pas assez) dans nos pays d’origine. La première fois que je me suis retrouvée entourée de compagnons Africains c’était lors d’une conférence internationale sur le leadership à Atlanta, en Géorgie. Mes collègues venaient de pays tels que le Botswana, l’Ouganda, le Kenya, le Ghana et le Nigéria. A 19 ans, je réalisais à quel point c’était bizarre de m’apercevoir que j’avais passé toutes mes années de lycée à voyager à travers le monde, sans jamais être entré en intéraction avec un autre compagnon Africain ou mis le pied dans un autre pays d’Afrique.
Nous, Africains, ne voyageons pas assez localement, sauf si les circonstances nous y obligent. Ceux qui voyagent par choix préfèrent aller vers des destinations comme l’Europe, l’Asie ou les États-Unis. Ceux qui voyagent de force déménagent généralement dans les limites du continent et dans la plupart des cas sont confrontés à la méfiance et la xénophobie. Une dichotomie émerge: en tant que Sud-Africaine je peux obtenir un visa pour visiter l’Allemagne en quelques jours mais une femme somalienne voulant visiter l’Afrique du Sud devra attendre des années pour obtenir un visa. Difficile de parler du concept de « l’Africain global » sans mentionner les problèmes de mobilité. Les obstacles pour voyager d’un pays africain à un autre sont l’un des plus gros échecs de nos gouvernements actuels. Comment se fait-il qu’un billet aller-retour entre Paris et New York revient moins cher qu’un aller simple de Johannesburg à Accra ? Comment peut-on accepter le fait que les étudiants Zimbabwéens aient dû renoncer à des bourses pour étudier à l’étranger parce que leur pays manquait de papier pour l’impression des passeports? C’est la raison pour laquelle j’ai des sentiments mitigés quant à l’expression « citoyen du monde». Le Zimbabwéen qui fait le ménage pour ma famille dans les campagnes du Transkei a vu bien plus du continent africain que la plupart de mes compatriotes. Et cependant, les siens sont marginalisés et parfois tués parce qu’ils sont «étrangers». Le ressenti est qu’ils sont Africains mais pas assez Sud-Africains. Dans un pays dans lequel on peut à peine se définir en tant que peuple et nos relations avec l’ensemble du continent sont au mieux pitoyables, cette situation est absurde. Nous sommes Sud-Africains. Mais sommes nous assez Africains ? En effet, nous ne serons jamais des citoyens du monde ou même des africains globaux tant que nous ne pourrons pas voyager plus aisément entre pays africains. Nos leaders Africains doivent se réveiller et réaliser que le confinement représente la mort du peuple Africain ! Nous voulons et allons voyager, et de cette façon étendre nos horizons et ceux de nos pays d’origine.
Illustration : Siada Aminou
“Ma génération est au cœur d’une merveilleuse histoire d’amour, nous sommes enfin en train de réaliser que l’essence de notre africanité est ce qui nous rend beaux, intelligents, audacieux, optimistes et spirituellement doués.”
Rebecca Mqamelo
Le citoyen du monde : un pont de verre à travers une allée de miroirs
Et pourtant j’ai tellement conscience que le fait de voyager en soit est un luxe, surtout pour ceux pour qui le concept même de voyage a été ancré culturellement comme le fait des étrangers, du gâchis et même quelque chose de suspect. Les couches qui enveloppent nos expériences de voyage sont inévitablement culturelles et politiques. La reporter Lola Akinmade illustre ce phénomène de manière poignante lorsqu’elle réfléchit sur ses propres expériences en tant que femme Nigériane naviguant à travers l’Europe de l’Est avant d’obtenir le salut grâce aux traités de Schengen : « J’ai dû développer cet incroyable concept qu’un Nigérian pouvait voyager pour le seul et unique plaisir de visiter. Cette explication, le fait que les voyages apportent une grande richesse à nos vies, était une explication bien trop simple pour chaque agent d’immigration vérifiant mon passeport… Combien de talents resteront cachés pour toujours parce qu’on ne leur a jamais donné la possibilité d’explorer, de découvrir le monde, d’apprendre de nouvelles cultures, ou d’être eux-mêmes des ambassadeurs culturels et d’utiliser ces talents pour faire la différence à leur façon ?»
Le concept « d’Africain global » reste insaisissable précisément parce que nous sommes capables de nous définir en dehors du continent mais pas vraiment à l’intérieur de ce dernier. Pour les Africains vivant en dehors de l’Afrique un paradoxe existe en nous : nous sommes passionnément amoureux des pays que nous avons dû fuir pour nous épanouir. Nous brûlons de rêves nés de privilèges qui nous ont permis d’échapper aux cauchemars que nombreux doivent affronter. Nous sommes devenus une allée de miroir reflétant des identités mélangées, notre héritage est comme un parchemin enfoui sous des couches de brutalité, d’indignation et un sentiment de défaite spirituelle persistant. Nous sommes les Third Culture Kid d’Afrique, fusionnant la première culture de nos parents, la deuxième culture du lieu où nous avons grandit et enfin notre troisième culture celle du lieu où nous avons choisi de vivre. Et pourtant, malgré tout, nous avons tellement à offrir. Pour nous, il s’agit d’un voyage de désapprentissage et de réapprentissage. Partout où je vais, j’observe ce processus s’opérer à travers les Africains qui sont en dehors de l’Afrique. Nous sommes renforcés par notre unité et sans honte, audacieux dans notre quête de célébrer d’où nous venons. Notre héritage est un catalyseur pour nous amener là où nous le souhaitons. Pour l’Africain global, être et écrire l’histoire simultanément représente tout.
Trouver notre richesse générationnelle
Quel est en 2020 la richesse que possède notre génération en tant qu’Africains ? Les grands noms du 20ème siècle résonnent avec les libérateurs, les hommes d’état et les intellectuels panafricains. Pour le 21ème siècle, certains clament que la plus grande ressource du siècle sera la data. Moi je dis que ce sera la culture. Nous sommes à un moment de l’histoire où tous ensemble nous sommes en train d’établir quelque chose de beau, quelque chose dont le monde ne sait pas encore qu’il a terriblement besoin. En tant qu’Africain, nous devons nous donner la permission d’être qui nous sommes. Nous devons connaître et ressentir notre force, nos dons, les vérités que nous incarnons et qui ne sont incarnées par nulle autre culture. La richesse de notre génération, réside je crois en notre créativité et notre spiritualité. C’est notre “vibranium”. Fini le temps où nous recevions la charité culturelle. Il est temps pour nous d’être ceux qui vont influencer. L’Africaine globale que je suis n’est pas internationale, elle est “externationale”. L’Histoire lui a enseigné qu’amener le monde à l’intérieur de l’Afrique était dangereux alors à la place elle exporte l’Afrique au monde.
C’est uniquement lorsque l’on tombe amoureux de ce que nous sommes et de ce que nous avons, que nous pouvons apporter cette sagesse collective au monde. Être Africain c’est être fabuleusement beau, intelligent, audacieux, ambitieux, optimiste et acceptons-le pleinement, spirituellement doué. C’est le cas pour la femme Somalienne voulant se rendre en Afrique du Sud, pour l’Afro-Américain vivant à New York et le Sud-Africain vivant à Berlin. C’est un fait qu’on réalise quand nous sommes hors du continent africain et que nous devrions aussi réaliser lorsqu’on y est. Nous sommes un seul et même peuple. Que ce soit notre mantra ! Que cela devienne la définition de l’Africain global.
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