Maddy, 22 ans, a fui l’Ouganda en 2014 à cause de son orientation sexuelle. Là-bas, son amour envers une autre femme est considéré comme un “péché” pour lequel elle a risqué la prison à vie. Installée aujourd’hui en France, son pays d’accueil, elle se reconstruit en bâtissant pierre après pierre “sa stabilité, sa force et son héritage”. Portrait
C’est dans un studio décoré sommairement dans le 15ème arrondissement de Paris, que la jeune femme nous accueille. Un écran de télé crache un bruit sourd, une guitare acoustique est posée dans un lit. Malgré un état grippal qui l’affaiblit, son regard et son attitude traduisent une volonté de fer et un aplomb sans faille. Maddy, c’est cette jeune femme filiforme, aux cheveux en undercut surmontés de locks rouges, les pieds bien ancrés sur terre qui portent tout son 1m74. Elle s’installe, un verre de blanc et des cigarettes sont posés sur une petite table basse. Un rictus aux lèvres, elle commence son récit. Celui d’une vie entre exil et nouveau départ.
Maddy S. , Credits : Adama Anotho pour NBW
« Dans mon pays, si une femme aime une femme et un homme aime un homme c’est comme tuer quelqu’un, c’est un péché. »
Un contexte, un fardeau
Le pays où elle voit le jour elle ne l’a pas choisie. Maddy S. est née en 1995 dans le royaume du Buganda, le plus grand des royaumes traditionnels de l’Ouganda, pays situé dans la région des Grands Lacs. Ce même pays qu’elle fuira quelques années plus tard. Maddy est la neuvième d’un clan de 14 frères et soeurs. Ses parents, très portés sur la politique et le monde des idées, ouverts d’esprit grâce à leurs nombreux voyages, l’accueillent avec amour et dévotion. Pourtant leur père les censure “mon père ne nous autorisait pas à regarder des choses sur les gays, les homosexuel.les etc. Il nous les cachait pour nous protéger. Donc je ne savais rien sur ce genre de choses.” Pour cause, l’Ouganda est un pays très attaché aux traditions. “La culture du royaume du Buganda est une culture qui n’accepte pas vraiment l’homosexualité. Dans mon pays, si une femme aime une femme et un homme aime un homme c’est comme tuer quelqu’un, c’est un péché. Pourtant, je ne pense pas que la Bible dise ça. Là bas, c’est vraiment difficile pour nous les lesbiennes, les gays, les bisexuels, les personnes transgenres…” déclare-t-elle les yeux dans le vague. Et du fait de sa situation géographique (voisin de la Tanzanie et du Kenya), l’Ouganda compte une forte population de musulmans pratiquants et de chrétiens évangélistes dont les chefs religieux, souvent radicaux et influents, imposent l’agenda politique et social. Le documentaire God Loves Uganda de Roger Ross Williams montre assez justement l’étendu de l’influence de cette foi évangéliste du “renouveau”. A titre d’exemple, ce sont les conférences données par Scott Lively, pasteur américain et deux autres évangélistes anti-gay à Kampala, qui ont inspiré une proposition de loi homophobe. Pour rappel, le 24 février 2014, le président Yoweri Museveni, poussé par le parlementaire évangéliste ougandais David Bahati, promulguait la Anti-Homosexuality Act ayant pour but de sanctionner la “promotion” de l’homosexualité. Cette nouvelle loi comportait entre autres la légalité de dénoncer une personne homosexuelle présumée, des dispositions pour les Ougandais.es en relations avec des personnes de même sexe hors d’Ouganda à être extradé.es et sanctionné.es dans leur pays, des pénalités pour les individus, les compagnies, les organisations médiatiques ou ONG qui connaissent et/ou soutiennent des personnes homosexuelles et leurs droits. De nombreuses associations et gouvernements occidentaux ont crié à une véritable chasse aux sorcières. A l’époque, la Suède lèvera même ses aides envers le pays, quand les Etats-Unis sous Barack Obama, condamneront la loi et la qualifieront de “pas en arrière”.
Maddy réalise qu’elle est lesbienne en 2011, à l’âge de 16 ans. C’est à cette période que le militant homosexuel David Kato Kisule est assassiné. Un an plus tôt, le journal local Rolling Stone livrait même des noms et des adresses de personnes présumées homosexuelles en titrant “Pendez-les !”. Malgré ce climat tendu et même si depuis 2009 les campagnes anti-homosexuels reléguées par des prêcheurs et pasteurs évangélistes montent en puissance, les questions de droits et d’emprisonnement à vie des personnes homosexuelles sont des préoccupations loin de Maddy à ce moment là. Inscrite au lycée de filles à Kampala, un jour des camarades de classe lui demandent si elle est lesbienne, vu la manière dont elle regarde les autres filles. La jeune femme de 16 ans ne sait quoi répondre mais éprouve des choses qu’elle ne comprend pas à l’époque. “Quand une amie ou une fille me touchait, je ne savais pas ce qui se passait. J’ai commencé à me renseigner en allant à la bibliothèque et là, j’ai compris que j’étais lesbienne”. “Je me répétais que je ne pouvais pas être comme ça. Mon père est hétéro, ma mère aussi ainsi que toute ma famille. Je ne peux pas être comme ça.” S’ensuit alors une année de déni et de fuite en avant, pour celle qui pensait que le fait de n’avoir jamais eu de petit copain faisait d’elle ce qu’elle était. “J’ai donc décidé de sortir dans des bars, j’ai rencontré des garçons, j’en ai même embrassé mais plutôt comme le ferait une mère (rires)”. Pour autant le déchirement psychologique est présent et lourd à l’époque “mon coeur était peiné. Je ne pouvais pas m’accepter.”
Credits : Adama Anotho pour NBW
Credits : Adama Anotho pour NBW
« Je sais que les gouvernements peuvent se mettre d’accord et changer les règles. Mais c’est le coeur des gens qui doit changer aussi. »
Accepter et fuir
Puis vient le temps de l’acceptation. Celui d’être heureuse et libre de son corps. Elle fait un coming-in, non pas aux autres mais à elle-même. Ensuite seulement, elle l’annonce à ses amies. “En fait, j’avais une forte attirance pour une amie. Je lui ai avoué mes sentiments, comment à ses côtés j’étais heureuse, en sécurité, libre… Puis elle m’a embrassé”. A ce moment là, elles se font surprendre par des camarades. Le directeur de l’école est prévenu, ce dernier appelle le père de Maddy. “Mes parents ne l’ont même pas appris par moi…” et la réaction de son père avec qui elle entretient une relation très forte, tourne brutalement à l’incompréhension et au rejet. Celui avec qui elle sortait boire des verres, avec qui elle adorait “débattre et parler politique des heures durant” la renie. A l’évocation du père, que l’on devine être son modèle tant dans sa force de caractère et son intelligence, la jeune femme contient ses émotions. Puis allant puiser au fond d’elle-même, elle poursuit.“Le premier à le savoir dans ma famille a été mon père. Il était mon meilleur ami. La première chose qu’il m’a dite c’est “tu n’es plus mon amie, tu n’es plus ma fille”. Et mon coeur a explosé… Je ne l’avais jamais vu comme ça, c’était vraiment décevant.” Ce même père lui pose un ultimatum : se marier avec un homme si elle veut revenir chez eux. Mais Maddy ne se voit pas vivre avec une personne qu’elle n’aime ni ne désire. Elle lui explique “avoir tout essayé pour enfouir ce sentiment” mais qu’elle n’y arrivait pas. Sa mère accepte son homosexualité et tentera de communiquer avec elle malgré son départ du foyer familial. Ses frères eux disent s’en être toujours douté. Pour ses soeurs, certaines lui disent qu’elle est enfin libre et la comprennent quand d’autres la rejettent tout simplement. Maddy est recueillie par une association d’aide aux mineurs homosexuel.les sans domicile. Certains sont atteints du VIH ou ont une addiction aux drogues. “Tous ces enfants je les aidais au final. Quand tu es malade en Ouganda, tu ne peux pas parler de tes problèmes à quelqu’un, même pas à un médecin car il peut appeler la police pour te dénoncer”. Elle les aide en les conseillant, en faisant de la prévention contre le SIDA et les MST. Mais surtout, Maddy est présente et s’attache à eux, “ j’étais leur amie. C’est bien d’assumer d’être homosexuel mais c’est encore mieux quand on peut en parler sans peur, sans être obligé de mentir.” souffle-t-elle, nostalgique.
Maddy S., Credits : Adama Anotho pour NBW
Deux ans après son arrivée dans l’association, Maddy désormais majeure, est arrêtée par la police parce qu’elle est lesbienne. La jeune femme est emprisonnée durant un mois qui lui paraissent une éternité. “C’était vraiment terrifiant! J’étais avec des femmes qui avaient commis des meurtres… et la manière dont ils nous touchaient, dont ils nous traitaient…” , lance-t-elle entre tristesse et colère. Une pudeur voile ses paroles, elle ne rentre pas dans les détails mais poursuit.“Ma petite amie a essayé de me rendre visite mais c’était trop dangereux, ils auraient été capables de nous tuer. L’administration se pose la question de savoir qui tu es pour visiter une lesbienne et va vouloir s’en assurer jusqu’au bout en suivant la visiteuse par exemple.” Maddy est libérée au bout d’un mois grâce à son avocat qui paye sa caution de 5 millions de shillings ougandais (1 277,43 d’euros), ce qui est une somme conséquente pour l’Ougandais moyen et qu’elle n’aurait pu obtenir sans l’aide de l’association. Il lui obtient aussi un visa pour la France, le seul pays qui accepte sa demande d’asile parmi la multitude de demandes faites vers l’Occident.“En sortant de prison, j’ai pu récupérer mon passeport. Je n’ai pas eu d’autres choix que de venir en France. Je n’ai même pas pu dire au revoir à ma famille.”
Maddy S. dans son appartement parisien. Credits : Adama Anotho
Un nouveau départ en France
Maddy arrive le 4 février 2014 à Paris. Capitale où elle n’a aucune attache, ni famille. Ses premiers jours en France sont difficiles. “Pour trouver un logement c’était compliqué, j’appelais le 15. Quand j’avais quelqu’un au téléphone je leur disais que je ne parlais pas français, ils me disaient de patienter… et ce pendant des heures. Désespérée, j’ai dû dormir dans le métro.” Après quelques jours, elle fait une rencontre inespérée “une femme m’a demandée comment je m’appelais et quel était mon pays d’origine. Quand elle a su que j’étais Ougandaise elle s’est exclamée “nous sommes voisines, je viens du Congo !”. La dame du métro, DJ la nuit, propose de l’héberger en contrepartie d’un babysitting. Elle reste un bon moment chez elle, le temps pour elle d’achever ses démarches d’accès au logement et de demande d’asile. “Grâce à elle j’ai connu l’association ADIS qui regroupe des lesbiennes du Nigéria, du Ghana, et quelques-unes d’Ouganda”. Par son intermédiaire elle découvre également l’association Lesbian Beyond Borders qui l’aide à se loger. Puis tout s’enchaîne, la jeune Ougandaise obtient son statut de réfugiée qui lui permet de rester dix ans en France, enchaîne les petits boulots de vendeuse, prend des cours de Français et se frotte même au mannequinat. Au début elle participe à des shooting pour le fun, y prend goût et se rend compte qu’elle a de plus en plus de demandes. Sur les photos qu’elle montre, la composition des images est léchée. Maddy a un regard perçant, son visage y exprime une détermination sans outrance.
Maddy S. pose pour NBW / Credits : Thomas Smaïl pour NBW
“Je bosse à Zara, ça va bientôt faire 10 mois que j’ai été embauchée. Je veux gravir vite les échelons, devenir responsable puis directrice. C’est pour ça que je suis célibataire je suis trop concentrée sur mon travail” avoue Maddy en riant. Avant d’évoquer sa situation amoureuse et comment, malgré le plein d’applications dans son téléphone, elle ne parvient pas à trouver de petite amie. D’ailleurs sa mère restée en Ouganda s’en inquiète, “Pour elle peu importe que je sois avec une femme, l’essentiel est que je trouve quelqu’un avec qui partager ma vie.”
Et depuis l’année dernière, après 3 ans de silence, Maddy et son père recommencent à communiquer. “Il est perdu et moi aussi. Mon père me manque, cette connexion que j’avais avec lui était une bénédiction. Il m’a rendue forte, m’a appris à m’exprimer, m’a rendue comme je suis. J’en suis fière et reconnaissante.” Pour autant, un retour en Ouganda n’est pas envisageable pour Maddy, la blessure est bien trop béante. “Quand j’entends parler de l’Ouganda… psychologiquement j’ai un problème. Je pense que je ne serai jamais en sécurité là-bas. Même si je change de nationalité, je ne m’y sentirai pas en sécurité. J’aime mon pays et mes parents me manquent mais je ne pourrai jamais y retourner pour y vivre. Après ce qu’ils m’ont fait…” dit-elle sans finir sa phrase. Et ce malgré l’annulation de la loi Anti-Homosexuality Act par la cour constitutionnelle ougandaise (à cause d’un vice technique) six mois après son arrivée en France.
Si les mentalités sont loin d’atteindre l’acceptation de la communauté LGBTQ en Ouganda, il y a des hommes et des femmes qui se battent afin de bousculer le conservatisme de leur pays. A l’instar de l’activiste Kasha Jacqueline Nabagesera, qui après avoir fait la couverture du Times pour son combat pour le droits des personnes LGBTQ, continue à sensibiliser, protester et organiser en Ouganda une société civile afin que les générations futures soient libérées du joug de l’oppression et de l’homophobie. Quoiqu’il en soit, pour Maddy ce sont les mentalités qui se doivent de changer dans son pays et non les lois. “Je sais que les gouvernements peuvent se mettre d’accord et changer les règles. Mais c’est le coeur des gens qui doit changer aussi. Ici, en France, je me suis accomplie par moi-même, j’ai commencé à créer ma stabilité, ma force et mon héritage”.
À LIRE AUSSI