
Le 9 février 2017, Ikéa annonçait une collaboration avec Design Indaba, la plateforme de networking sud-africaine, pour l’élaboration d’une collection africaine prévue pour 2019.
Courant février 2017, plusieurs designers, illustrateurs et architectes venus d’Afrique du Sud, Kenya, Sénégal, Egypte, Angola, Côte d’Ivoire et du Rwanda étaient invités au siège d’Ikéa afin d’exposer leurs idées, en vue d’une future collection. Début mars 2017, c’était au tour du géant de l’ameublement suédois de faire le déplacement à Cape Town en Afrique du Sud où se tenait la 22e édition de l’incontournable Design Indaba Festival. Une occasion pour la plateforme de networking de discuter pendant sa conférence annuelle“autour du style de vie, des habitudes, des rites modernes et de l’importance qu’ils ont dans les intérieurs africains”, informe l’entrepreneur sud-africain Ravi Naidoo, fondateur de Design Indaba. Une deuxième rencontre qui a permis également de présenter plusieurs prototypes réalisés par les designers participants à la collaboration, allant du textile aux meubles en kit.
credits : IKEA
Une collaboration sur fond de “design démocratique”
Seulement un an après sa nomination au poste de responsable concepteur chez Ikea en janvier 2016, Mark Engman, l’homme à l’initiative de ce projet explique “qu’une collaboration comme celle-ci a pour but de rassembler les gens autour d’une toile blanche, de garder l’esprit ouvert et de travailler ensemble sur des idées, au delà des frontières”. Sans parler du fait que, selon l’entreprise d’ameublement, “l’Afrique a un long passé de Do It Yourself, où les gens créent des choses incroyables et cool à partir de petits matériaux. Et c’est le genre de “free styling” qui est réellement créatif. C’est cette attitude, cette énergie que nous voulons explorer et intégrer à cette future collection”. Une occasion rêvée pour Ikéa d’apprendre des nouvelles méthodes de design, tout en appliquant ce qui fait son identité et leitmotiv depuis son lancement en 1943 “le design démocratique” : n’importe qui peut monter n’importe quel meuble chez lui. En quelque sorte, un moyen qui permette à tout un chacun de faire du design et d’avoir un intérieur en adéquation avec ses goûts et à hauteur de ses moyens.
Une vision que partage aussi Ravi Naidoo, fondateur de Design Indaba. L’homme d’affaires aux multiples casquettes, qui a dirigé la campagne de la première mission africaine dans l’espace ainsi que celle de la candidature de l’Afrique du Sud pour la Coupe du monde de football, considère “l’expansion d’Ikea [comme] stupéfiante et pourtant ils croient toujours en leurs principes fondateurs, ce dont quoi nous nous retrouvons. Ils visent un design démocratique et sont heureux d’être enrichies par des idées extérieures !”. L’entrepreneur qui siège également en tant que membre du jury de l’Index Awards (prix du design décerné à Copenhague) assure aimer le crédo du géant des meubles en kit : “ un meilleur quotidien pour tout le monde” “Maintenant, ce quotidien sera aussi inspiré par une Afrique urbaine et par notre groupe intercontinental de réformistes, penseurs, entrepreneurs et activistes”.
« Cette collaboration est le moyen pour Ikéa d’apprendre et comprendre à travers nos présentations le contexte et la vie en Afrique, et nous de notre côté, de connaitre leur manière de travailler. »
Un apprentissage mutuel et inclusif
Pour l’architecte ivoirien Issa Diabaté, de Koffi & Diabaté group, la collaboration avec Ikea s’inscrit dans une démarche de démocratisation et de complémentarité. “Il était important pour moi que les objets sur lesquels je travaille pour cette collaboration soient inscrits dans une démarche open source, accessible à tous. Il ne s’agit pas ici uniquement de produire des objets qui se vendent mais surtout des objets pertinents et de donner accès au plus grand nombre et à un coût raisonnable du mobilier pour s’asseoir, manger, dormir, se relaxer. Même si ces actions rituelles se passent dans des lieux différents sur la planète, elles sont soumises à des logiques urbaines similaires.” L’architecte reconnaît également que cette collaboration est une formidable opportunité de travailler à une autre échelle. “Le support industriel d’Ikéa commence là où notre démarche « hands on » en tant que designer trouve ses limites en termes de qualité de production, régularité, process industriel pour permettre des économies d’échelles et apporter une certaine flexibilité. Avec ce projet, nous entrons dans une autre démarche de production, à une échelle différente que nous n’aurions pas pu expérimenter individuellement.”
Parmi les participants du projet, le talentueux sénégalais Bibi Seck, qui après s’être formé en France et avoir travaillé pendant 10 ans chez Renault, réside désormais à New-York où il dirige avec sa femme le studio de design birsel + seck. Professeur dans plusieurs disciplines, allant de l’automobile au recyclage de fournitures, Bibi Seck est aussi passionné par l’impact de l’économie sociale en Afrique. Pour lui, cette collaboration est le moyen pour Ikéa “d’apprendre et comprendre à travers nos présentations le contexte et la vie en Afrique, et nous de notre côté, de connaitre leur manière de travailler, quelle position humaine ils ont”.
Cette future collection sera commercialisée dans tous les magasins de l’enseigne, y compris au Maroc et en Egypte, uniques points de vente sur le continent africain. Pour Bibi Seck, la population africaine ne sera pas en reste grâce à sa diaspora très forte en Europe, en particulier en France. “Imaginez un étudiant Sénégalais vivant en Europe qui se rend dans un magasin Ikea et retrouve quelque chose qui a une “soul” africaine lui rappelant son pays, ses rituels, sa manière de dormir, de faire du thé… Bref, toutes ces manières qui lui sont propres qu’il va retrouver à Paris, à Francfort ou à Istanbul, c’est juste magnifique !”
credits : IKEA
L’écueil de l’appropriation culturelle évitée
Mais ce qu’il faut retenir de cette collaboration, c’est aussi bien sa forme que son fond. De sa forme, on note un changement dans la manière d’appréhender les rapports et échanges avec le continent africain. Ici, il n’est plus question d’une grande enseigne occidentale qui s’inspire des savoir-faires et techniques d’une région du monde pour s’approprier sa vision et en tirer les bénéfices. A titre d’exemple, en 2014 , Made, le fournisseur de meubles anglais, s’inspire de l’Afrique avec sa collection outdoor “Mali” dont les chaises rappelaient le travail du designer malien Cheick Diallo. Ou plus récemment en février 2017, Habitat avec sa collection “Esprit Gypsie” inspirée des Baléares et de l’Afrique. Dans un contexte globale où les questions d’appropriation culturelles se posent de plus en plus et font débat, Ikea s’y soustrait de manière pertinente en faisant preuve d’inclusion dans cette collaboration.
Dans son fond, la démarche de la firme suédoise donne non seulement crédit et reconnaissance à ces différents talents et artistes africains, mais rend aussi visible la caution intellectuelle intrinsèque à leurs savoir-faires respectifs. Une réappropriation qui permet enfin aux cultures africaines, par le biais des designers participants, d’exprimer leurs différences et leurs particularités mais aussi d’effacer cette idée persistante d’un design africain, homogène et opaque, pour mettre en lumière plutôt les designs en Afrique, selon l’unicité et sensibilité de chaque pays et culture.
A la question de savoir si Ikea envisage de s’implanter dans un pays d’Afrique subsaharienne, l’enseigne assure être “constamment en train d’évaluer de nouveaux pays pour savoir où et quand porter notre attention”. Ce qui est sûr, c’est que de manière générale l’attention portée à l’Afrique est toujours plus grandissante et ceci dans tous les domaines. Espérons qu’elle ouvre la voie à plus d’initiatives inclusives et collaboratives dans les échanges et rapports Nord-Sud, à l’image de celle portée par Ikéa.
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