
Avec son compte Instagram “Afros in San Juan”, Valérie Moreno documente la beauté des cheveux bouclés et crépus d’afro-caribéen.nes de Puerto Rico. Dans un contexte social et politique où les afros-portoricains sont invisibilisés et n’ont principalement que des représentations médiatiques stéréotypées, la démarche est non seulement appréciée mais aussi militante.
Installée sur l’île de Puerto Rico dans les Caraïbes depuis 2013, la montréalaise Valerie Moreno, d’origine salvadorienne, avoue avoir toujours été fascinée par la beauté des cheveux crépus et bouclés.
Photographier le cheveu afro dans toute sa diversité
L’idée de documenter par la photographie les boucles et les cheveux naturels l’habite depuis son emménagement, mais ce n’est qu’en août 2016 qu’elle commence réellement son projet. Et bien qu’elle ne soit pas afrodescendante elle-même, Valérie Moreno a tout de suite saisi la portée politique que pouvait comporter son travail photographique. “Il ne s’agit pas seulement de photographie, mais bien de porter les histoires de ces afro-portoricaines. Des histoires qui racontent comment dépasser les pressions subies à cause de la société ou même de proches, qui les poussent à lisser ou défriser leurs boucles naturelles. Pour moi, chaque photo est une expression de l’acceptation de qui elles sont et une victoire sur les attentes systématiques de faire de leur cheveux “naturels” quelque chose qui se doit d’être arrangé”.
Crédits : Valerie Moreno
« Chaque photo est une expression de l’acceptation de qui elles sont. »
Professeure d’anglais et de français à temps partiel en plus de son métier de créatrice de contenu, Valerie Moreno pratique la photographie depuis 4 ans en amateur. Ce qui n’enlève rien à son talent, tant la composition de ses photos saisit avec harmonie les tons, les textures et la flamboyance de ces corps noirs. En parcourant le compte instagram Afros in San Juan, où elle poste toutes les photos de son projet, son esthétisme et son travail de la lumière captivent. Mais ce qui est encore plus poignant ce sont les modèles qui composent ses photos et la complicité qui se dégage entre ceux-ci et Valérie Moreno.
Crédits : Valerie Moreno
Pour ce faire, la jeune femme assiste à des évènements de promotion du cheveu naturel ou d’attaché de foulards de marques locales telles qu’Ashanti Headwraps.
La plupart du temps, elle photographie des femmes, quelques unes sont des amies, d’autres qu’elle rencontre au hasard d’une rue ou qui après avoir découvert son compte instagram souhaitent participer au projet. C’est le cas de Mominatu Boog, mannequin libérienne qui résidait il y’a encore peu à Puerto Rico. Elle a tenu à participer au projet de Valerie Moreno car pour elle “la représentation est extrêmement importante et c’est d’autant plus important de soutenir un projet qui met en lumière la beauté noire”. Constamment harcelée à cause de sa peau noire et de ses cheveux crépus, Mominatu Boog confie que plus jeune elle portait des extensions lisses, des lentilles de contacts claires et se défrisait les cheveux, seuls moyens pour elle de faire face à cette pression sociale. Il y a 5 ans elle prend la décision de couper ses cheveux et de les laisser au naturel. “J’ai été inspirée par la confiance et la beauté de Solange Knowles. Je me suis dit si Solange peut m’inspirer, peut-être que je pourrai arriver à inspirer quelqu’un d’autre à travers les photos de Valérie Moreno” ajoute-elle.
Crédits : Valerie Moreno
Une démarche qui visibilise les afro-portoricains
Dans un pays où 25,8% de la population est noire et mulâtre, dans lequel il n’existe pas encore de représentant.e noir.e dans la chambre représentative et où les afro-portoricains sont perçus de manière négative, la démarche de Valérie Moréno interpelle et engage une nouvelle conversation. “A San Juan particulièrement, les Noirs sont vus comme des étrangers, des visiteurs afro-Américains ou d’autres îles. Les gens s’attendent à les trouver dans des zones bien spécifiques de la société, alors que les Noirs sont partout, du coup c’est comme si nous étions invisibles pour de nombreuses institutions. Nous sommes visibilisés seulement quand nos corps sont perçus comme une menace pour certains. Par exemple, lorsque je suis suivie dans un magasin parce que les agents pensent que je suis une voleuse et qu’ils introduisent leurs mains dans mes cheveux pour vérifier si je cache quelque chose dedans, quand ils font des vérifications “aléatoires” à personne d’autre que moi dans un groupe. Le racisme ici a été normalisé et institutionnalisé. Certes, il n’est pas pire que ce que nous avons connu il y’a 30 ans mais il existe toujours.”, dénonce Barbara L. Abadía-Rexach, professeure du département de sociologie et d’anthropologie de l’Université de Puerto Rico (Rio Piedra Campus).
La sociologue utilise “Afros in San Juan” comme plateforme d’analyse des dynamiques socio-raciales. “Les initiatives comme Afros In San Juan sont totalement nécessaires de nos jours parce-qu’elles exposent les personnes invisibles dans de multiples scénarios. Cela permet de visibiliser les portoricains noirs, de reconnaître leur beauté, leur humanité et d’éviter les stéréotypes liés à une vision eurocentrique de la beauté qui prévalent ici. Le cheveu naturel est une question éminemment politique pour beaucoup de résidents Noirs de l’île. Ce n’est pas la seule, mais elle fait partie des plus importante.”
En plus d’un racisme systémique, la représentation des afros-portoricains dans les médias serait très infime selon la sociologue. “Par exemple, quand c’est le cas dans les films, il s’agit surtout de stéréotypes importés des Etats-Unis où la femme a souvent le rôle d’une femmes de ménage, où il y’a une hypersexualisation des hommes et femmes noirs, sans parler des stéréotypes locaux généralement véhiculés sur l’île en lien avec des scènes dites traditionnelles de danse, musique, nourriture et de sport. Ce qui est très limité et réducteur.”, rapporte Barbara L. Abadía-Rexach.
Avec Afros in San Juan, l’appareil photo de Valerie Moreno célèbre des tranches de vie, la beauté des corps noirs, des cheveux naturels et participe à déconstruire des mythes et clichés tenaces.
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