PIERRE KWENDERS, AU-DELÀ DES FRONTIÈRES DU SON
PAR APHÉLANDRA SIASSIA
5 DÉCEMBRE 2017
Pour la sortie de « Makanda at the end of the space, the beginning of the time», l’artiste canado-congolais, Pierre Kwenders, est venu défendre sur scène son dernier album en novembre dernier. L’occasion pour le public français de se familiariser à l’univers foisonnant de cette étoile montante de la musique.
T-shirt transparent, toque léopard façon Mobutu, pantalon fluorescent, Pierre Kwenders ne passe pas vraiment inaperçu devant le public venu le voir à son concert dans le centre culturel Mains d’Oeuvres à Saint-Ouen. Une allure révélatrice de l’univers de cet artiste canado-congolais de 32 ans, né à Kinshasa et vivant à Montréal depuis l’âge de 16 ans. Célèbre au Canada pour ses talents de DJ, l’artiste développe une musique hybride se dégageant de toute assignation stylistique. Dans son dernier album, “Makanda at the end of the space, the beginning of the time”, il décloisonne les genres par la fusion de la rumba congolaise, de la pop ou encore de la funk avec un titre tel que “Sexus Plexus Nexus”, référence directe à la trilogie de Henry Miller “La Crucifixion en rose”. Avec Pierre Kwenders, «rien ne se perd tout se transforme». C’est dans cette dynamique que l’artiste a décidé de s’inscrire, ravivant dans ses morceaux la rumba congolaise chère à son coeur et présente dans certaines chansons telles que Zonga ou encore Rendezvous.
Accompagné sur scène par son groupe composé d’un batteur, d’un guitariste et d’un bassiste, son dernier album laisse plus de place à l’orchestration et aux instruments live comme pour mener l’auditeur vers d’autres dimensions, contrairement à son premier opus sorti en 2014, “Le Dernier Empereur Bantou” aux teintes plus électro.
Dépasser les frontières, faire le pont entre plusieurs cultures, c’est en effet l’objectif que s’est fixé l’artiste qui a décidé de mettre sa double culture au service de son art.

Pierre Kwenders, crédits : Philippe Richelet
« Je pense que la musique n’a aucune frontière, c’est justement de la cohabitation, l’acceptation de l’autre et de ses goûts. »
Pourrais-tu te présenter en quelques mots?
Je suis Pierre Kwenders, chanteur, ambianceur, danseur et ambassadeur de la bonne nouvelle et de la bonne humeur.
Quel a été ton processus de création pour ce nouvel album?
Quand j’ai commencé à travailler sur cet album, je ne voulais pas répéter la même chose qu’avec le premier. J’ai toujours été un grand fan du duo hip hop des Etats Unis Shabazz Palaces. L’un des membres est d’origine Zimbabwéenne et il y a deux ans, quand mon premier album est sorti on a décidé mon manager et moi de le contacter. Au départ, je voulais juste avoir une ou deux chansons pour mon prochain album. Je n’avais pas vraiment d’idée fixe et il a écouté mon disque. Il m’a dit qu’il aimait bien ce que je faisais et de venir faire un tour à Seattle. Arrivé là bas, il m’a fait écouter quelques sons et je suis tombé sous le charme. On est allé en studio et il y a eu une sorte de déclic. On a réalisé que l’on pouvait aller plus loin et créer quelques choses de nouveau, qui plairait à tout le monde. C’est parti de là. J’y suis retourné peut être quatre, cinq fois sur une période de deux ans pour enregistrer cet album.
Du coup l’idée, avant tout c’est de parler au plus grand nombre ?
Exactement, c’est de créer des ponts entre musique africaine et le reste du monde mais d’une manière nouvelle. C’est un peu ce que j’ai essayé de faire avec mon premier album mais dans un univers beaucoup plus électronique. Pour celui-ci, j’ai voulu aller plus loin, ajouter plus d’instruments live. On a du violon, du saxophone, de la trompette, de la guitare, des percussions. Je voulais que les gens en écoutant cet album ressentent quelques choses de fort. Je pense que la musique n’a aucune frontière, c’est justement de la cohabitation, l’acceptation de l’autre et de ses goûts.
La musique pour toi c’est finalement apporter quelque chose de neuf, d’innovant ?
Exactement, mais surtout quelque chose d’authentique. En fait pour être franc, je n’invente rien. Le scientifique français Lavoisier a dit : « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». C’est exactement ce que je fais avec la musique, je ne fais que réinventer. Tout ce que j’ai fait a déjà été fait, mais je la transforme en quelque chose qui me ressemble et qui représente des gens de ma génération, des gens comme moi.
Qu’appelles tu des gens comme toi ? Des gens ayant une double identité ?
Oui. Des gens issus de la diaspora, mais pas nécessairement des africains. Peu importe d’où l’on vient, quand on quitte son pays natal pour aller à l’étranger, on est souvent confronté à deux mondes, à différentes réalités, on est dans un combat constant pour essayer de faire coexister les deux. Aujourd’hui, ça fait 16 ans que je vis au Canada et j’ai quitté Kinshasa a 16 ans. Donc à un moment dans ma vie, j’ai dû rassembler toutes ces choses que j’ai apprises au Congo et celles que j’ai apprises au Canada et voir où je me place dans tout ça. C’est un peu comme en géométrie, lorsque deux cercles se rencontrent. Moi, je me retrouve au milieu.
Il y a donc un équilibre entre les deux…
C’est un équilibre mais en même temps, je suis Congolais, je suis Kinois et le resterai. D’un autre côté, je suis bel et bien Canadien parce que si aujourd’hui je décide d’aller au Congo, ceux qui sont là bas vont me voir comme un étranger même s’il s’agit de ma terre natale. Quand je rentre au Canada aussi je suis encore un peu cet étranger là qui est venu d’ailleurs même si ça fait des années que j’y vis. D’un bord où d’un autre on est toujours un peu étranger mais on cherche à trouver un juste milieu, un endroit où l’on se sent bien. Moi c’est à travers la musique. J’y exprime qui je suis, comment je vois le monde et ce monde là c’est justement ce pont entre ces deux cultures, qui peuvent sembler différentes mais qui ont beaucoup de similitudes.
Quelle relation entretiens-tu avec le Congo aujourd’hui?
J’ai une grande partie de ma famille qui y vit mais je n’ai pas eu l’occasion d’y retourner depuis que je suis parti. Ma mission est d’y aller l’année prochaine. 2018 ne se terminera pas temps que je n’y aurais pas mis les pieds (rires). J’y vais histoire de faire un premier retour aux sources, de m’inspirer et voir les gens vivre, ressentir cette chaleur, respirer cet air qui me manque tant.

Pierre Kwenders
« J’essaye surtout de rendre hommage à la rumba congolaise même si je n’ai pas la prétention d’en faire. »
Il y a des influences indéniables de Koffi Olomidé ou encore Papa Wemba dans cet album. Est ce que c’était important pour toi de mettre en lumière cet héritage culturel?
Bien sûr! J’ai été bercé par ces gens là, par Koffi Olomidé, Papa Wemba. Je ne prétends pas être à la hauteur de ces légendes mais j’essaye surtout de rendre hommage à la rumba congolaise même si je n’ai pas la prétention d’en faire. Je suis un peu comme Obélix, je suis tombé dedans quand j’étais petit (rires). Papa Wemba est l’un des mes artistes préférés, un des premiers qui a voulu être “ crossover ” et qui a tenté d’amener la rumba congolaise un peu ailleurs avec des gens comme Peter Gabriel. C’est la première génération comme on dit.
Tu as eu l’occasion de rencontrer certains artistes de cette première génération?
Pas encore, mais quand je retournerai au Congo j’aimerais beaucoup en rencontrer certains. Malheureusement Papa Wemba n’est plus de ce monde mais il y a encore Koffi ou Lutumba Simaro. J’aimerais ne serait-ce qu’échanger avec eux, leur montrer mon admiration, leur dire à quel point leurs musiques ont compté.
Quel sens confères-tu à ta pratique musicale? Y-a t’il une part d’engagement ?
Je ne me considère pas comme un artiste engagé. J’utilise ma musique pour parler de ce qui me touche. Ca peut être des sujets très sensibles, d’autres moins. Je ne cherche pas à donner des leçons aux gens. Je pense que dans la vie on apprend tous les jours et on ne peut pas toujours avoir raison. Quand j’ai quelque chose qui me tient à cœur j’en parle comme la situation au Congo que j’évoque dans quelques unes de mes chansons. J’en parle pour faire réfléchir mais je n’ai surtout pas envie de mettre des mots dans la bouche des gens ou de les diriger vers une idée.
Et si je te parle d’afropéanité, terme conceptualisé par Léonora Miano et récupéré par certains artistes tels que Gato Preto ou Djeudjoah, te reconnais-tu un peu dans cette idée?
Evidemment. Tu sais, moi je n’aime pas les concepts. Quand on parle de ma musique, on parle de musique du monde, d’afro-futurisme. C’est bien tout ça mais … Je pense que l’on peut être influencé par différents environnements dans lesquels on reste longtemps. J’ai été influencé par deux cultures mais mon identité reste la même bien qu’elle soit partagée. J’ai une seule et unique personnalité. Je suis moi dans toute ma complexité.
Des projets à venir ?
Les projets ça n’arrête pas. (rires) J’ai un autre projet qui s’appelle Abakos, c’est un duo avec un congolais du Canada, entièrement électronique et en anglais. Je suis DJ, j’organise une soirée récurrente au Canada qui s’appelle Moonshine, assez underground, où on entend de la musique afro, du coupé décalé, de l’afro beat, tout ce genre de choses là. J’ai quand même hâte de retourner en studio et de commencer à écrire pour le prochain album. On verra où ça va me mener, mais je n’ai pas envie que ça soit comme le second ou le premier (rires). J’aimerais bien avoir ma propre émission à la radio mais c’est un plan qui murit tout doucement.
Le mot de la fin ?
Amour, amour, toujours amour…
Sortie de la nouvelle mixtape du collectif Moonshine dont fait partie Pierre Kwenders le 29 novembre 2017.
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