
Architecte et designer, Cheick Diallo détourne les usages et les pratiques pour créer de nouveaux objets du quotidien. Reconnu internationalement pour son art, l’artiste malien a décidé en 2014 de rentrer définitivement au pays après avoir vécu à Rouen. À Bamako, il entend faire connaître et valoriser cette discipline.
Lorsqu’il retourne au Mali, Cheick Diallo est un artiste reconnu; ses chaises, assiettes et lampes sont régulièrement exposées. Avec l’Association des Designers Africains qu’il préside, il a pu valoriser son art à l’étranger où il a d’ailleurs été primé à plusieurs reprises : un prix du Musée des Arts Décoratifs alors qu’il n’avait pas encore fini ses études de design et une distinction du Salon du Design Intérieur de Montréal en 2006. Mais quid de l’Afrique ? Car si le design est reconnu en Europe et que des géants comme IKEA commencent à s’intéresser aux designers africains, cette discipline peine à être considérée de la même manière sur le continent, notamment au Mali où il n’existe aucun cursus pour apprendre le métier. Pour Cheick Diallo, ce sont de nouveaux défis qui s’annoncent. Rencontre.
“Si les Africains ne se décomplexent pas, on n’ira nulle part et économiquement ce ne sera pas viable.”
Vous êtes architecte de formation, comment avez-vous basculé dans le design ?
J’avais complètement fini mes études d’architecture quand j’ai compris qu’il y avait une discipline inhérente à l’architecture qui s’appelait le design. On nous avait un peu donné les prémices de ce métier mais c’est en m’inscrivant dans une école de design après l’école d’architecture que j’ai réellement découvert ce que c’était. J’exerçais déjà en tant qu’architecte, mais j’ai continué le design en me disant que c’était un complément à l’architecture. Ce complément est devenu une passion et cette passion aujourd’hui ne m’a toujours pas quitté.
Vous construisez vos objets à partir d’objets de récupération…
Ça, c’était une parenthèse qui me colle à la peau, car la paresse pousse les gens à reprendre des choses que j’ai dites il y a 20 ans. Mais bon, ça fait aussi partie de mon travail et je le revendique car j’ai horreur du gaspillage des ressources naturelles que nous n’avons pas à profusion. Ici, on dispose de ressources réutilisables venant essentiellement d’Occident, des voitures par exemple. C’est une pratique que de faire de la récupération. On peut donc trouver de l’intelligence dans cette façon de faire, ça ne sert à rien d’aller abattre des arbres si on peut construire du mobilier à partir de la récupération. C’est du recyclage.
Vos chaises et fauteuils sont faits à partir de fil de pêche, c’est bien de la récupération?
Non ! Les gens le mettent à tort dans la catégorie de la « récupération ». Dans le temps, on récupérait du fil de pêche usagé qui provenait du Japon ou maintenant de la Chine pour faire des chaises, c’était de la récupération. Aujourd’hui, nous utilisons du fil de pêche tout neuf, c’est donc du détournement dans les fonctions et les utilités.
“Ici, il suffit qu’une personne fasse une chaise qui tienne debout pour qu’elle s’autoproclame designer ! C’est comme le tailleur qui copie un modèle en ajoutant quelque chose et qui s’autoproclame styliste… Non, designer est un métier !”
Vous êtes resté plus de 35 ans en France jusqu’à votre retour définitif à Bamako en 2014… Pourquoi revenir ?
Plusieurs raisons… Mais avant de décider du retour définitif, une grande partie de mon activité était tournée vers le Mali car c’est ici que je produisais mes objets. Même si je me déplaçais un peu partout dans le monde, j’avais centré ma production au Mali. Je venais pratiquement tous les deux mois ou tous les trimestres et je travaillais. Ce qui a forcé la décision, ce sont des raisons purement familiales avant tout, lorsque mes deux parents ont décidé de voyager ensemble la même année. Comme j’avais la responsabilité de la famille en tant qu’aîné, je ne me sentais plus utile socialement en France. Je suis rentré et j’ai emmené toute ma famille ici.
Est-ce que quelque chose a changé entre l’époque où vous viviez à Rouen et maintenant ?
Oui, un peu. On continue à entretenir nos relations en Europe et dans d’autres pays comme l’Afrique du Sud. Avant, c’est vrai que j’étais obligé de venir assouvir les commandes. Maintenant étant là, on fabrique, on continue à exporter mais ce n’est pas la même chose, puisque la présence en Europe est une vitrine : elle apporte beaucoup plus quand tu es présent que quand tu ne l’es pas. Mais on continue à envoyer du mobilier à ceux qui ont commandé.
Quand vous revenez, vous êtes déjà reconnu en tant que designer, vous avez déjà exposé dans plusieurs musées et gagné plusieurs prix. Est-ce que vous bénéficiez de la même reconnaissance à Bamako ?
Non, malheureusement. Je suis reconnu dans le monde et donc beaucoup de maliens me connaissent. Mais pas le grand public, uniquement ceux qui sont dans mon secteur d’activité savent qui je suis.
Pour valoriser l’art malien, vous travaillez déjà avec des artisans qui vous aident dans la production. Que souhaiteriez-vous faire de plus ?
Mon souhait, c’est de former. Il n’y a que la formation qui permette d’évoluer dans ce métier là, sinon ça stagne à un certain niveau. Les artisans sont entre eux mais les autres dans le monde ne nous attendent pas car ils sont mieux structurés. Il faut donc aider à articuler ce secteur d’activité et créer également de véritables écoles de design. On ne devient pas médecin parce qu’on a regardé exercer un médecin pendant longtemps. Ce dernier s’est formé avant tout. Il a un titre qu’il revendique et c’est comme ça qu’il peut apporter sa pierre à l’édifice. Ici, il suffit qu’une personne fasse une chaise qui tienne debout pour qu’elle s’autoproclame designer ! C’est comme le tailleur qui copie un modèle en ajoutant quelque chose et qui s’autoproclame styliste… Non, designer est un métier ! C’est un bac +5 mais puisque c’est un mot à la mode, on se l’attribue pour se mettre en avant à travers cette activité. Les gens pensent qu’il suffit de fabriquer mais le design c’est surtout le pourquoi et le comment.
“ Je pense qu’il faut qu’on consomme aussi du made in Africa pour pouvoir améliorer également nos façons de produire. Si ce n’est pas le cas, ce sera toujours l’étranger qui nous dira ce qui est bien chez nous.”
Est-ce que votre art est consommé à Bamako ?
Oui, on a commencé par meubler des hôtels, des particuliers, des ambassades et aussi le centre culturel français. Les gens connaissent mon art, mais il arrive parfois que certains copient mes modèles plutôt que de venir me voir.
Il y’a donc un problème de copyright, vous n’êtes pas protégé ?
Si, je le suis, mais quand vous êtes protégé dans un pays de pauvres, ça donne quoi ? (rires) Beaucoup de jeunes maliens, pleins d’énergie, se retrouvent découragés par des pratiques de ce genre mais il ne faut pas se décourager. Le Mali c’est grand, l’Afrique aussi, il ne faut pas seulement penser Afrique mais penser le monde aussi. Le Mali est dans le monde mais le malien se sent parfois tellement petit car ce sont toujours les mêmes personnes qui se rencontrent. Ça devient un réseau, des connivences. Ça devient un clan. Au Mali, les gens qui n’ont pas la compétence sont mis à l’écart, on prend quelqu’un d’autre qui sous-traite celui qui l’a. C’est ça le problème.
On a aussi ce problème de valorisation. On préfère aller à Dubaï plutôt que de mettre le prix sur des choses qui existent ici et de les valoriser. C’est une projection, c’est une culture parce que l’offre n’est pas égale à la demande ici. Il n’y a pas si longtemps, porter un grand boubou était synonyme d’archaïsme puis le grand boubou s’est imposé. La “chemise francisée” s’est imposée en Côte d’Ivoire parce que des créateurs du continent se sont battus et des personnalités ont osé porter des chemises faites par des créateurs africains. Nelson Mandela a lancé la vie et la carrière de Pathé’O en portant cette chemise longue. Ça paraît banal, mais c’est une figure qui l’a portée et qui fait qu’on n’a plus honte de porter des chemises sans les brailler et d’oser mettre quelque chose d’africain sur une chemise. C’est un problème d’image et de communication, donc d’ouverture d’esprit. Si les Africains ne se décomplexent pas, on n’ira nulle part et économiquement ce ne sera pas viable. Je pense qu’il faut qu’on consomme aussi du made in Africa pour pouvoir améliorer également nos façons de produire. Si ce n’est pas le cas, ce sera toujours l’étranger qui nous dira ce qui est bien chez nous.
Au Mali, il n’y a encore aucune école de design…
Non, parce que ce métier n’est pas connu ! Il m’arrive parfois de dispenser des cours gratuitement aux jeunes étudiants qui veulent s’essayer au design mais cela ne suffit pas. Je m’étais efforcé à plusieurs reprises de créer une école mais à moi tout seul, je ne peux pas enseigner tout un cycle de design. Néanmoins, je n’ai pas abandonné l’idée de créer une institution au Mali. Mais je voudrais que l’État contribue à ce que je puisse transmettre de manière mieux organisée et dans de meilleures conditions, que ce soit à travers une école ou d’autres façons d’exercer le métier.
Vous avez fondé l’association des Designers Africains en 1996. Quels sont ses buts et ses avancées ?
L’objectif est de faire connaître le design comme outil de développement. Tout simplement parce qu’il est tourné vers la conception de nouveaux projets du quotidien, des objets ambassadeurs et malheureusement, l’Afrique ne produit pas beaucoup. Pourtant, le design est un outil formidable et un véritable vecteur économique parce que son domaine d’application est très large. Seulement, on le met que sur un piédestal artistique alors ce n’est pas que ça. Comme c’est un secteur en développement même en Europe, à plus forte raison en Afrique, on peut s’en emparer comme outil propulseur. Au début, quand on parlait design, c’était une autre planète ! Dorénavant, on se dit qu’on a une certaine responsabilité de le populariser à travers des expositions, des conférences, des produits.
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