
THE FOXY FIVE, LA WEB-SÉRIE SUD-AFRICAINE SUR LE FÉMINISME INTERSECTIONNEL
PAR DOUCE DIBONDO
24 MARS 2017
Réalisée par Jabu Nadia Newman, jeune femme de 23 ans basée à Cape Town, The Foxy Five est une web-série de 5 épisodes d’environ 15 minutes chacun, abordant avec sincérité et souci de réalisme une problématique spécifique par épisode, à travers l’histoire de cinq amies aussi différentes que complémentaires. Les retours positifs sur les réseaux sociaux ainsi que le succès de sa campagne de crowdfunding (financement participatif) pour aider au financement de la web-série ont de quoi réjouir la réalisatrice, fan inconditionnelle de Frida Kahlo. Une émulsion qui s’explique selon elle par le fait qu’en Afrique du Sud, il existe un réel sursaut politique des Millenials Noirs.
Portrait de Jabu Newman, courtesy Jabu Newman
Des personnages hauts en couleur
“J’ai grandi dans une famille politisée, mais je n’ai jamais vraiment été entourée de pairs qui l’étaient aussi. Et parler de ces concepts dont je n’avais jamais entendu parler comme le féminisme intersectionnel, a été très intéressant pour moi. Je me suis alors demandée ce que ce concept signifiait pour nous, au 21ème siècle.”, confie Jabu Nadia Newman. Elle décide alors de créer The Foxy Five, d’abord pour elle-même, car elle estime que ce projet pourrait répondre à ses propres questionnements en tant que féministe.
credits : Jabu Newman
Dans cette web-série à l’esthétique “Blaxploitation”, genre cinématographique apparu dans les années 70 mettant en avant les Afro-Américains, chaque personnage représente un archétype féministe poussé à l’extrême et que l’on peut retrouver dans nos cercles sociaux tels que la hippie, l’intellectuelle, la panafricaine, la révolutionnaire et celle libérée sexuellement. Ainsi, dans la famille Foxy Five on demande : Blaq Beauty, féministe “mariée à Martin Luther King et maîtresse de Malcom X”. Radicale, se préparant à la future révolution armée, c’est le point levé qu’elle scande un Black Power sans retenu. Ensuite vient Femme Fatale, la copine queer, mûre et intelligente sexuellement, qui n’a pas peur d’expérimenter et toujours une anecdote coquine aux bout des lèvres. En passant par Unibond, narratrice de la web-série, celle qui prône l’unicité de l’Afrique et des femmes africaines pour une convergence des luttes de celles-ci. Sans oublier Prolly Plebs, naïve et le coeur sur la main, son féminisme bisounours qui parfois exaspère n’est pas moins clairvoyant. Pour elle, l’amour vaincra toujours. Enfin WomxnWe, l’intellectuelle, prude, souffrant de troubles mentaux, véritable encyclopédie sur le mouvement féministe et l’intersectionnalité.
Féminisme intersectionnel, kézako ?
Le terme d’intersectionnalité a été forgé par l’universitaire féministe Kimberlé Crenshaw lors de la parution d’une enquête publiée en 1991 sur les violences que subissaient les femmes noires des classes pauvres des Etats-Unis. Cet outil permet d’analyser les différentes formes de domination de race, de classe, de sexe et de genre, subies simultanément par les individus. A titre d’exemple : une femme, noire, immigrée, de classe défavorisée, non-valide, lesbienne et musulmane n’est pas située sur la même échelle des privilèges qu’un homme, blanc, français, de classe aisée, valide, cisgenre, hétérosexuel et catholique. Malgré une bataille épistémologique dans les hautes sphères scientifiques, le concept trouve de plus en plus écho dans les milieux militants féministes.
Dès 1981, dans son ouvrage Ne suis-je pas une femme? (dont le titre fait référence au discours de Sojourner Truth, défenseure de la cause abolitionniste et du mouvement des droits des femmes), Bell hooks, intellectuelle et féministe afro-américaine posait les bases du Black Feminism. Ce féminisme, par essence intersectionnel, démontre comment les luttes d’une femme noire ne sont pas les mêmes que celles d’une femme blanche. “Pour certaines personnes, le féminisme intersectionnel signifie le chaos… Je voulais donc écrire un scénario qui explique ou décrit les différences entre les classes, que celui qui est oppressé peut aussi oppresser et qu’il est important d’avoir conscience de ses privilèges.” , avance la jeune réalisatrice. Dans un souci quasi obsessionnel de représentation et de justesse sur les réalités que traversent les Millenials sud-africains, Jabu Nadia Newman pose également un regard sur la transmisogynie (discrimination dont souffrent les femmes trans), dans l’épisode 4 publié sur Youtube.
credits : Jabu Newman
Quand websérie rime avec pédagogie et activisme
Dédiaboliser le féminisme tout en éduquant les mentalités sont les leitmotiv de la réalisatrice. Dans The Foxy Five, le groupe d’amies évoque le sexisme, le harcèlement de rue, le patriarcat, la suprématie blanche, la cause LGBTQ, la problématique du genre, la connaissance des privilèges de classes sociales ou encore le mansplaining (contraction de –man et –explain, qui désigne une situation dans laquelle un homme va expliquer à une femme un sujet qui la concerne et dont elle est plus légitime à parler). Et le tout, avec un vocabulaire accessible où les concepts sont vécus et non plus intellectualisés afin de les démocratiser au plus grand nombre. “J’ai créé The Foxy Five pour la jeune génération, pour qu’elle soit en mesure de comprendre ce qu’est l’intersectionnalité sans forcément être féministe et pour qu’elle puisse le reconnaître dans des situations du quotidien. J’aimerais que The Foxy Five soit vue par des jeunes femmes qui n’ont pas la possibilité de lire ou d’étudier tous ces concepts. Mon but ultime, c’est qu’elle soit diffusée à la télé car la majorité des sud-africains possède une télé mais pas internet.”
credits : Jabu Newman
Dans une Afrique du Sud plongée dans les stigmates de son histoire, Jabu Newman appartient à la “Free born generation” (enfants nés après l’abolition de l’Apartheid à partir de 1994), une jeunesse qui s’affirme et embrasse les combats et luttes de son époque. Marquée par les manifestations étudiantes d’octobre 2015, suite aux hausses des frais d’inscriptions universitaires (#FeesMustFall) ainsi que les révoltes lycéennes de l’été 2016 quant à l’interdiction du port des cheveux naturels dans un lycée de Pretoria (#PretoriaGirlsHigh), la jeune femme reconnait que sa génération vit un réel sursaut politique. “Quand il y a eu les manifs dans les établissements de Pretoria, c’était extraordinaire de voir les plus jeunes se battre pour des choses qu’on aurait même pas imaginé contester au même âge. Ils se sont juste dit que c’était insensé que les femmes noires ne puissent pas porter leurs afros. C’est aussi incroyable de voir la dynamique des conversations actuelles ! Avant, on allait juste en cours. Aujourd’hui, c’est toujours le cas mais en parlant naturellement de féminisme, de politique et de nos places dans la société.” Tout comme ses cinq personnages sur internet!
Suivre les aventures de ces héroïnes du quotidien, vous hape petit à petit dans un monde que vous croyez connaître pour déconstruire plusieurs clichés tenaces sur les femmes noires. Jabu Newman, aussi talentueuse que brillante, sait faire vibrer plusieurs cordes sensibles et ce que l’on regrette, c’est bien le format trop court de la web-série.
À LIRE AUSSI