Kami Awori, c’est le duo electro-soul et hip hop venu tout droit de Suisse. Musiciennes à l’énergie assurée, elles portent haut les couleurs de leurs convictions sur scène comme dans la vie. #BlackGirlMagic
Elles avaient 18 ans lorsqu’elles lancent leur groupe CaramelBrown. 8 ans plus tard, c’est sous le nom Kami Awori que Ka(ra)mi et Awori ouvrent un nouveau chapitre de leur aventure musicale. Métisse Haïtienne-hongroise, Ka(ra)mi est la productrice et claviériste du groupe, tandis qu’Awori, d’origine ougandaise, est auteur-interprète et styliste. Il y a 2 ans, les deux amies quittent Genève pour s’installer à Paris, afin d’élargir leurs opportunités artistiques et surtout pour se rapprocher d’un public plus en phase avec leurs intérêts, inspirations et valeurs. Ces deux jeunes femmes de 26 ans, bien ancrées dans leur temps, n’hésitent pas à aborder des sujets de société tel que le #BlackLivesMatter dans leur musique mais aussi à s’engager sur le terrain. A quoi ressemble le monde quand on est artiste, afro-descendante, queer et militante afrofem en 2017 ? Rencontre autour d’une infusion au roïboos, sur fond de rumba congolaise avec Kami Awori, des talents bien partis pour devenir incontournables !

Photographe : Damien Paillard pour NBW / D.A & hairstyle : Laura Taty / MUA : Sophia Luvualu / Designer : GuerasFatim / Retouches : Ingha Mago
« Le Black Lives Matter est un mouvement global car la question de la violence policière se pose partout. »
Kami Awori est votre nouveau nom de baptême. Pourquoi?
Ka(ra)mi : On avait 18 ans quand on a formé CaramelBrown et on trouvait ça super cool comme blaze ! Puis, il y a deux ans, on a décidé de briser cette identité et tout le poids qu’elle avait sur nos vies artistiques et personnelles. D’abord, parce qu’on avait beaucoup évolué dans notre manière de faire de la musique, de collaborer ensemble et de voir le monde. On entrait dans une prise de conscience immense et on avait besoin de marquer cette maturité. D’autant plus, qu’il y avait beaucoup de remarques autour de ce nom.
Awori : Là où c’est devenu insupportable, c’était les remarques sur nos personnes en tant que femmes noires car les gens nous ramenaient sans cesse à notre apparence. On nous disait des trucs comme “C’est qui Caramel ? C’est qui Brown ? Hahaa je suppose c’est la “black”, Brown ?” Et on en a eu tout simplement marre de ce genre de blagues, de projections extérieures qui dénaturaient complètement l’origine du groupe. Au départ, on rendait hommage à une tradition des noms de scène qui rappellent les saveurs comme Salt’N’Peppa, Ice Cube et tous ces artistes old school de hip hop ou de R&B mais les gens ne percevaient pas du tout la même chose. Basculer vers Kami Awori, nous a donné accès à notre identité propre, nos rôles.
Quelle est votre identité musicale?
Awori : L’industrie musicale a tendance à segmenter, soit tu fais de l’électro, du jazz ou du rap… C’est quelque chose qu’on supporte mal en tant que groupe qui produit de la musique ne rentrant pas dans une catégorie précise et face à des formats comme la radio, les festivals, les concours qui essayent toujours de te mettre dans une case.
Ka(ra)mi: Oui, les catégories musicales sont tellement limitantes et cloisonnantes! En Suisse, on a fait un concours qui sélectionne les meilleurs démos du pays. On a eu la chance d’être choisie deux années de suite dans la catégorie « urbaine ». C’est un peu problématique car c’est la catégorie bâtarde où l’on range tout ce qu’on ne sait pas précisément définir! On nous a même reproché de ne pas faire une musique assez « world » juste parce qu’on utilise des samples de percussions. Notre musique est simplement un mélange entre soul, electro, traditions ougandaises, haïtiennes et cubaines avec un brin de polyrythmie.
Votre musique est souvent catégorisée comme engagée et singulière. Quelles sont vos inspirations ?
Ka(ra)mi : Génération MTV oblige, le R&B des années 2000 m’a imprégné avec Ginuwine et Mario. Le disque de Lauryn Hill est le disque qui m’a le plus marqué quand j’avais 10 ans. Je suis très fan du travail de Sango, Mura Massa, Iamnobodi, Kelela, le pianiste Cory Henry ou encore Bela Bartok, un compositeur hongrois. Sinon, dernièrement j’ai adoré l’album de Solange.
Awori : Moi, je suis plus 90’s. J’étais fascinée par les clips des groupes comme 702, SWV, Brownstone, 112. Plus jeune, je rêvais même d’être Aaliyah. Sinon plus récemment, j’aime beaucoup ce que font Kelela et Yukimi Nagano. Et coup de coeur pour l’album “A seat at the table” de Solange. Pour moi, cet album est très émotionnel car après tout ce qui s’est passé dans la première moitié de 2016, elle est venue un peu comme une messagère et nous a dit : « Tenez, c’est pour vous ! » C’était une véritable célébration.
Photographe : Damien Paillard pour NBW / D.A & hairstyle : Laura Taty / MUA : Sophia Luvualu / Designer : GuerasFatim / Retouches : Ingha Mago
« Entre le racisme, le sexisme, la misogynie et aussi la misogynoir… Honnêtement, nous n’avons pas besoin que notre propre communauté nous aliène à son tour. »
Quelle est votre interprétation de cette effervescence autour d’artistes comme Solange, Beyoncé ou Amandla Stenberg, qui ont un certain impact auprès des Millenials Noirs?
Awori : En fait, l’importance réside dans ce que représente ces femmes pour notre génération. Peu importe qui elles sont, c’est l’existence même de cette diversité qui nous sert car les femmes noires ne sont pas monolithiques tout simplement. Une femme noire ne peut pas incarner toutes celles que l’on est. Une Beyoncé, une Amandla Stenberg, une Viola Davis, ce sont des figures dont on a vraiment besoin parce qu’on nous en a privé pendant tellement longtemps et que cela fait juste du bien de les savoir visibles. D’ailleurs, Amandla Stenberg, aussi jeune soit-elle, est assez intéressante en tant que personne queer et noire.
Pourquoi est-ce important de parler de la communauté LGBTQIA* Afrodescendante?
Awori : En tant que femme queer moi-même, je trouve qu’on est invisibilisé. Au sein même de la communauté noire, on va nous dire que tout ce qui a rapport à l’homosexualité et l’identité de genres ce sont des “trucs de blancs”. C’est très douloureux de le vivre parce qu’on subit déjà tellement de pression extérieure à cause de la façon dont les autres nous perçoivent. Entre le racisme, le sexisme, la misogynie et aussi la misogynoir… Honnêtement, nous n’avons pas besoin que notre propre communauté nous aliène à son tour. C’est important d’avoir des espaces où l’on peut en parler librement, sans avoir peur d’être rejeté, méprisé et dénigré.
Que pensez-vous de l’émergence des hashtags #BlackGirlMagic #MelaninMonday, ou encore #BlackOutDay ?
Awori : On est une génération qui a grandi avec internet et la génération en dessous de nous y est carrément née. Du #BlackGirlMagic au #Carefreeblackgirl, je vois ces hashtags comme des outils militants pour s’approprier cet espace virtuel que représente Internet et pour rendre plus visible nos existences car dans ces 2 dimensions, entre réel et virtuel, elle est minimisée de toutes les manières. Les hashtags sont hypers puissants, il n’y a qu’à voir le #BlackLivesMatter qui est devenu aujourd’hui un outil politique. On a d’ailleurs créé un morceau inspiré par le #BlackGirlMagic. C’est un hashtag qu’on adore car il contribue à alimenter l’amour que les femmes noires devraient avoir pour elles-mêmes et pour les autres femmes noires. Il existe aussi le hashtag #BlackMagic pour ne pas discriminer les personnes qui ne s’identifient pas avec une étiquette féminine mais qui ont tout de même quelque chose à revendiquer ou leur dignité à réaffirmer.
Vous avez sorti l’EP “Lunation” dont le thème est le Black Lives Matter, pourquoi ?
Ka(ra)mi : On a commencé à remixer un vieil album à nous qui s’appelle “daydream”. A l’époque, c’était un hommage à Tamir Rice (ndlr : garçon de 12 ans abattu en 2014 par un policier à Cleveland, alors qu’il s’amusait dans un parc muni d’un pistolet en jouet). C’est un morceau qu’on jouait à chaque live et puis finalement on s’est dit qu’on allait faire un opus tout entier sur cette thématique.
Awori : Le Black Lives Matter est un mouvement global car la question de la violence policière se pose partout. On a pris des exemples venant des USA mais c’était un prétexte pour ouvrir le débat sur ce qui se passe dans chacune de nos communautés, aussi bien en Suisse qu’en France. Les USA sont plus médiatisés donc c’est plus facile pour les gens de parler de quelque chose d’aussi dérangeant que la brutalité policière quand ils imaginent que c’est ailleurs. On le voit d’ailleurs en France avec l’affaire Adama Traoré qui est toujours d’actu. Malheureusement, c’est une problématique qui est au coeur de nos vies et qui le sera encore un moment, à moins que le système ne soit remis en question.
Photographe : Damien Paillard pour NBW / D.A & coiffure : Laura Taty / MUA : Sophia Luvualu / Designer : Gueras Fatim / Retouches : Ingha Mago
Photographe : Damien Paillard pour NBW / D.A & coiffure : Laura Taty / MUA : Sophia Luvualu / Designer : Gueras Fatim / Retouches : Ingha Mago
Pour rester dans cette idée d’empowerment et d’engagement, Awori, tu fais partie d’un collectif afroféministe. C’est quoi être « afrofem » aujourd’hui en 2017?
Awori : L’afroféminisme, c’est la conviction que l’émancipation de la femme noire ne dépend uniquement que des femmes noires. C’est vraiment un activisme par nous et pour nous. Etre afroféministe, c’est reconnaître qu’on est à l’intersection de plusieurs oppressions et qu’on s’oppose au féminisme mainstream qui ne reconnaît pas l’oppression de la race, alors qu’il s’agit pour nous d’une oppression quotidienne génératrice d’autres oppressions. Il ne s’agit pas simplement de se dire femme et noire mais ce statut sous-entend aussi des oppressions de classe, d’âge, de validité qui, lorsqu’elles s’additionnent, alourdissent encore plus nos vies. Je suis engagée dans le collectif Mwasi, qui met en avant l’idée selon laquelle la parole et l’émancipation passent par les concernées. Je ne parlerai donc jamais à la place d’une femme noire, musulmane et en fauteuil roulant parce que je ne subis pas ses oppressions. C’est à elle de me dire ce que c’est de les vivre au quotidien.
En tant qu’afroféministe, je trouve qu’on rencontre beaucoup d’obstacles et de résistance. Il y a ce petit truc dans l’imaginaire collectif qui dérange quand une femme noire s’affirme, parle de sa lutte au quotidien. Certains voudraient qu’on se satisfasse de ce qu’on a déjà, de pouvoir faire des études, aller à l’université, avoir un job. Qu’il n’y a pas besoin de plus alors qu’il n’y a aucune satisfaction à subir des choses sous prétexte qu’on a déjà un minimum. Ce n’est pas parce qu’on est en 2017 qu’il n’y a plus rien à régler, la lutte n’est pas terminée. Nous ne sommes pas encore arrivés au stade où le racisme, en tant que construction systémique, n’existent plus.
Et comment voyez-vous l’industrie musicale?
Ka(ra)mi: C’est vrai que c’est un milieu où il y a beaucoup de sexisme et de misogynie, alors le simple fait d’en être conscientes nous aide à y faire face. Cela peut se manifester par des remarques sur notre physique, dans la façon infantilisante que certains ingés-sont vont prendre pour nous parler, persuadés qu’on ne connaît pas notre matos. Des questions anodines du type “Qui vous produit?” alors qu’on est deux et qu’on annonce qu’il y a une qui produit et l’autre qui interprète. Comme si deux femmes sur scène cachaient forcément un homme de talent qui travaille dans l’ombre. Les femmes sont planquées, on ne les voient pas en jam sessions, on se retrouve souvent seules comme si l’espace est tellement occupé par les hommes qu’on peine à se faire voir et entendre. D’où l’importance de se soutenir entre femmes musiciennes, pour partager notre expérience et construise une sororité. On est dans une industrie dominée par les hommes mais on est là, deux femmes qui veulent occuper l’espace !
*LGBTQIA : Lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres, queers, intersexes, asexuels.
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