
Avec sa série “Spiritual Phenomena”, Malick Welli veut illustrer l’ouverture et la tolérance religieuse.
Autodidacte doué, Malick Welli est un artiste visuel sénégalais dont l’approche est à la limite de la socio-anthropologie. Représenté par la galerie Clémentine de la Ferronière, il fait partie de la nouvelle génération de portraitistes africains à suivre de très près.
Malick Welli
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Malick Welli et je suis photographe. Je suis né à Kaffrine, une région qui se situe à 300 Km de Dakar mais j’ai grandi et fait mes études à Dakar. J’ai fait des études de commerce parce que c’est ce que les parents ont voulu. Je suis allé jusqu’en licence et en parallèle je faisais déjà de la photo depuis le collège. J’ai travaillé pendant un moment dans une agence de communication et événementiel mais cela ne m’enchantait pas, c’était pas vraiment ce que je voulais faire, j’ai donc arrêté toute cette carrière pour me concentrer sur la photo.
Comment définis-tu ton art ?
Mon travail est centré sur le portrait photographique, c’est mon moyen d’expression et medium de prédilection. J’ai longtemps suivi les aînés, les pionniers de la photographie au Sénégal tels que Mama Casset (1908 – 1992), Meïssa Gaye (1892 – 1996) et Oumar Ly (1943 – 2016).
D’ailleurs, le travail de pionniers tels que Malick Sidibé ou Seïdou Keïta est très célébré en Europe.
Oui c’est vrai. Ce qui est dommage, c’est lorsque les gens voient ce type de photographies maintenant ils pensent tout de suite à Malick Sidibé, mais en réalité le premier photographe africain ce n’est pas lui c’est Meïssa Gaye. Mais c’est Malick Sidibé qui a plus de côte et est le plus connu de sa génération. Meïssa Gaye avait un studio à Saint Louis, ensuite il est retourné à Dakar où il a ouvert son studio à la Médina et c’est lui qui a formé Mama casset qui était son assistant. Quand je suis allé à Saint-Louis je me suis rendu compte que les gens ne le connaissaient pas autant qu’un Malick Sidibé ou Seïdou Keita. Il fait malheureusement partie de ces photographes oubliés. Ma série “Duet”, composée de portraits de familles saint-louisiennes, était justement un hommage à ces pionniers sénégalais oubliés. Cela dit, ma démarche était différente de la leur et par la suite je me suis détaché de leurs codes traditionnels pour avoir une écriture plus contemporaine et libre.
Quels sont ces codes traditionnels et comment as-tu fait pour les dépasser ?
Leur démarche consistait à faire poser des modèles dans leurs studios, alors que moi c’est dans différents lieux extérieurs ou intérieurs. Ma photographie se distingue par la densité des couleurs, des lumières, des contrastes et une mise en scène assumée. Je suis surtout un photographe portraitiste, je m’intéresse aux liens qui se créent entre les personnes.J’essaie également de lier l’architecture à mon travail, la partie matérielle et immatérielle de la ville c’est-à-dire de valoriser les coutumes ou les tenues traditionnelles de Saint-Louis.
« Les soeurs de Saint Joseph Cluny », Spiritual phenomena series, Saint Louis 2018
Untitled, Spiritual Phenomena series, Mosque of the divinity, Dakar 2018
“Ce que je dis souvent, c’est que l’artiste ne doit pas donner de réponses, son domaine est de questionner et de permettre aux gens de trouver leurs réponses.”
La série “Spiritual Phenomena” est captivante.
C’est une série que j’ai commencée à Saint-Louis lorsque j’y étais en résidence. En fait, c’est la suite de la série “Duet”. La série “Spiritual Phenomena” me permet d’examiner le paysage religieux qui est à la fois multiforme et contradictoire…
C’est-à-dire contradictoire ?
Je travaille sur toutes les religions révélées, tout en attirant l’attention sur l’unité de la religion et sur son parallélisme. Pour cette série, ce sont des photos capturées essentiellement devant une architecture sacrée, avec un livre rouge programmatique qui apparaît dans toutes les photos.
Que symbolise ce livre ?
Au début, je plaisantais en disant que c’était le livre rouge de Mao Tsé Dong, parce que c’est le souvenir du premier livre que j’ai lu quand j’avais 8 ans. Après, je disais que c’était Le Petit Prince… En fait, les religions révélées partagent toutes un livre, c’est donc pour montrer cette unicité là que j’ai choisi ce livre rouge.
Ce qui frappe à première vue ce sont les couleurs et la composition. Je me suis demandée s’il y’avait un effort de stylisme réalisé en amont ?
Oui il y’a une mise en scène. Je fais en amont des repérages pour voir les couleurs qui collent le mieux au lieu. Ensuite, je fais moi-même les tenues que les modèles vont porter.
Le thème de la religion cristallise parfois des tensions, est-ce que tu penses qu’à travers ton art tu arrives à dépasser cela ?
Je sais que les gens ont peur de parler de la religion, mais avec l’angle que j’ai choisi j’ai essayé d’être neutre même si je suis personnellement musulman. Ce que je dis souvent c’est que l’artiste ne doit pas donner de réponses, son domaine est de questionner et de permettre aux gens de trouver leurs réponses. C’est ma philosophie des choses.
Que questionnes-tu en particulier avec cette série ?
J’ai rencontré un professeur d’université aux Etats-Unis qui me demandait ce qu’est la religion pour moi. Je lui ai répondu “Religion is habit”. Je vois la religion en quelque sorte comme une habitude. Avec cette série, je cherche à montrer l’esprit d’ouverture et de tolérance religieuse.
J’ai commencé la série à Saint-Louis, je l’ai poursuivie à Marrakech durant ma résidence. Et là bas, c’est en allant à la synagogue pour faire des recherches que j’ai entendu parler d’une communauté juive noire du Soudan, du coup la prochaine étape de la série sera là bas. On ne sait jamais vraiment où l’art nous mène mais quand on a cette envie, il faut y aller.
Untitled, Spiritual phenomena series, Jewish cemetery, Marrakech 2019
Untitled, Spiritual phenomena series, Zawiya Sidi Bel Abbes, Marrakech 2019
Qu’est-ce qui t’inspire ?
L’Afrique reste ma terre d’inspiration. Tout ce que je vois en Afrique je ne peux pas le voir ailleurs.
De ta perspective d’artiste, as-tu le sentiment que la photographie faite par les africains connaît un boom ?
La majorité des photographes africains de la première vague étaient des portraitistes. Nous, la nouvelle génération d’artistes africains, on essaye de réinventer la photographie à notre manière en montrant les réalités qui se passent sur le continent. Je pense que nous avons un rôle à jouer. Pendant longtemps ce n’était que des images négatives qui étaient montrées du continent, maintenant c’est à nous de montrer ce qu’est réellement l’Afrique. Il faut que l’on continue d’assumer cette responsabilité.
Instagram : @malickwelli
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