Aux sources de la marque

Aristide Loua, 28 ans, est né à Gadouan un village dans l’Ouest de la Côte D’Ivoire. A l’age de 14 ans, il déménage avec sa famille à Pondichéry en Inde pendant 5 ans.  “L’Inde, c’était un pays très culturel et coloré, l’occasion de vivre une autre aventure, une autre culture et de sortir de ma zone de confort.”, déclare le designer Ivoirien.  Véritable globe trotter et passionné de sciences, après son bac il part à Salt Lake City aux Etats-Unis pour y obtenir un Bachelor en mathématiques, suivi d’une licence à New York. Il finit par travailler en tant qu’analyste financier pour une entreprise basée en Caroline du Nord.

Son séjour à New-York produit un véritable déclic chez le jeune homme dont la vision de la mode change radicalement. Celui qui portait des vêtements qu’il qualifie de “ringards” se rapproche du monde des arts visuels et textiles. En Automne 2013, Aristide Loua assiste à la Fashion Week où est projeté le documentaire Slum Flower réalisé par Street Etiquette, traitant de la mode et comment celle-ci est appréciée, appropriée et détournée dans les quartiers populaires de Brooklyn ou du Bronx, sans pour autant que les protagonistes se dérobent de leur propre identité. Ce documentaire l’inspire et lui fait prendre conscience que “nous aussi [africains], on peut créer de belles choses et contribuer au développement humain, social et artistique”. Il décide alors que c’est ce qu’il souhaite pour la Côte d’Ivoire : “faire fructifier l’économie au niveau local avant tout” déclare Aristide Loua. C’est encore à New-York que se produit son 2ème déclic, lorsqu’il reçoit de la part de sa mère des costumes fait sur mesure en tissu wax. Piqué de curiosité pour ces tissus, leur qualité et leur beauté, il commence à se documenter sur ces derniers ainsi que les pagnes traditionnelles. Il crée l’univers de sa marque, travaille son business plan et décide de retourner définitivement s’installer à Abidjan dès 2015 pour créer Kente Gentlemen.

Un univers poétique, coloré et culturel

“Les couleurs, c’est quelque chose que l’on voit partout en Côte d’Ivoire et en Afrique en général. Dans la rue, au marché et sur les vêtements des gens. Il était important pour nous de s’imprégner de cette énergie là” raconte le designer. Enfant, il se souvient que ses amis et lui passaient du temps à observer les gens qui s’habillaient “en tout complet”, expression ivoirienne qui désigne le fait d’accorder (parfaitement) toutes les couleurs de sa tenue. “Quand je regarde un tisserand fabriquer un pagne, j’y vois beaucoup de poésie dans son geste, dans son travail et dans les couleurs qu’il utilise”. Une poésie qu’il souhaite retransmettre dans les visuels de sa première collection, pour donner une toute autre dimension  à ses créations aux coupes minimalistes et classiques. Le tout, avec une composition graphique léchée.

Confectionnée dans son atelier de Yopougon, la première collection de Kente Gentlemen fait la part belle aux couleurs et à différents tissus tels que le wax, le pagne baoulé ou encore le mannois (tissu originaire de la ville de Man). Le vestiaire proposé se compose de vestes, chemises, shorts et gilets. Pour Aristide Loua, il ne s’agit pas tant de coupes que de tissus mais surtout de l’exploration d’un héritage. Le jeune homme n’hésite pas à voyager à travers la Côte d’Ivoire et sa sous-région pour découvrir les pagnes traditionnels locaux, leur signification et fabrication. “Pour moi qui était novice dans le pagne, c’est vraiment une manière de découvrir nos tissus, de les valoriser et de s’inspirer de nos valeurs traditionnelles pour les traduire dans un langage moderne. Par exemple, les  techniques que les tisserands utilisent pour les pagnes baoulés sont des techniques séculaires qui datent pour certaines du 10e siècle et le fait de garder ces traditions c’est des savoirs-faires qui racontent beaucoup de choses.”

Car derrière un pagne se cache une histoire et une culture que le jeune homme veut raconter à travers l’univers de sa marque et documenter sur son site par la photographie et l’écriture, dans une volonté manifeste d’archivage. “Ousmane Sembène disait “si les africains ne racontent pas l’Afrique, elle disparaîtra” et je pense qu’il a raison. Dans la rubrique “Travelogue” du site Kente Gentlemen, on raconte nos expériences de voyages dans les villes africaines car on veut montrer vraiment l’Afrique telle qu’elle est. Dans la rubrique “Journal”, j’ai publié le rituel funéraire de l’enterrement de mon grand-père car chez nous les Bétés, les funérailles sont une expérience très importante, voire plus importante que le mariage; Et ce sont des histoires comme celles-ci qui permettent de nous découvrir nous-même et de comprendre les choses qui font vraiment partie de notre tissu social et sociétal.”

Entre visuels léchés, créations graphiques et poèmes de-ci de-là, Kente Gentlemen rime subtilement avec douceur, charme, intelligence visuelle et émotionnelle. Pour sa prochaine collection, Aristide Loua prévoit des voyages dans le nord de la Côte d’Ivoire ainsi qu’au Burkina Faso.