
MO LAUDI, LE DJ SUD-AFRICAIN CONSTRUIT DES PONTS ENTRE L’AFROHOUSE ET LA TECHNO
PAR DOUCE DIBONDO
9 JUILLET 2018
DJ et producteur du label Globalisto, ex-chanteur d’un groupe punk rock et MC dans le collectif Radioclit, Mo Laudi est partout à la fois depuis 20 ans, posant à travers le monde les bases de sa conception d’une musique électro enrichie de Kwaito et des rythmiques traditionnelles d’Afrique du Sud.
C’est son EP Paris Afro House Club, sorti en avril 2017 qui en témoigne le mieux de cette essence molaudienne née de plusieurs inspirations. Tout récemment, le DJ a embarqué dans ses passerelles Calypso Rose, Flavia Coelho, Ala.ni, Michelle Blades, avec qui il a collaboré pour Jozi Acid. Sorti en septembre 2017, cet album dédié à Johannesburg dont “jozi” est le diminutif, regroupe des rythmes du coupé décalé, de la deep, de la Chicago house, de la techno africaine et de la musique pop ! Celui qui rêve désormais de fusionner son style électronique au saxophone de Manu Dibango nous a accordé un entretien.
Mo Laudi, crédits : Youri Lanquette
« La musique a toujours été spirituelle pour moi. Comme dans la plupart des cultures africaines, elle est utilisée comme catalyseur pour se rapprocher de nos ancêtres. »
Mo, peux-tu nous en dire un peu plus sur toi ?
Je suis né en Afrique du Sud durant l’apartheid, ce qui m’a poussé à éviter les perceptions imposées, tout ce que le gouvernement tente d’imposer à la population. Parfois, ce que nous voyons, n’est pas la réalité. Par exemple, la musique africaine était dévalorisée, on nous apprenait à nous haïr et à servir l’Autre. Mon but est de défier ça et ma musique est mon arme. J’ai une essence d’artiste. La musique s’est avérée être le premier outil avec lequel j’ai pu m’exprimer et toucher les gens. Je suis un penseur, un militant, mais je suis aussi un homme d’affaires, un producteur et je possède mon propre studio d’enregistrement. Je suis un DJ, j’écris et je peins. En ce moment, je suis sur la création d’un centre culturel.
Quand est ce que tu as commencé à t’intéresser au djing ?
La musique a toujours été spirituelle pour moi. Ça vient de ma culture Pedi (Sotho du Nord). Comme dans la plupart des cultures africaines, la musique y est utilisée comme catalyseur pour se rapprocher de nos ancêtres. D’ailleurs, la musique a été essentielle dans la lutte contre l’apartheid. Elle était présente à l’église, aux mariages, à la maison. Je m’amusais avec les vinyles, les cassettes et les CDs de mes parents. Dans le voisinage, il y avait de la musique partout ! Il y en avait tellement et si fort que tu pouvais percevoir distinctement les morceaux joués à 4 pâtés de maisons et parvenir à entendre la musique d’en face ou de la maison de derrière. C’était comme une compétition sonore. Impossible d’y échapper, quelle qu’elle soit. Je me suis imprégné de chacune d’elles et c’est ce qui a initié le feu en moi. C’est l’addition de toutes ces forces qui a façonné mon destin. Je n’aurais jamais pensé que je deviendrais DJ, mais je voulais me connecter aux gens et les faire bouger spirituellement, émotionnellement et physiquement. J’ai mixé dans beaucoup de house parties quand j’étais ado et et j’ai géré une boîte de nuit à Polokwane.
Que penses-tu du succès de l’afro-house et de l’afro-pop en Occident ?
Je pense qu’il est enfin temps qu’on soit reconnu. J’ai mixé dans plus de 50 pays ces 20 dernières années. Avant, on entendait presque pas parler d’afro-house. Au début des années 2000, j’ai lancé des soirées à Londres en invitant des amis et on s’est créé notre petite communauté. J’ai eu de la chance car il y avait beaucoup de sud-africains qui appréciaient la house sud-africaine, des zimbabwéens aussi. Dans un premier temps, c’était ça le noyau dur dans un premier temps puis d’autres africains ont commencé à venir. L’autre jour, j’ai rencontré Seun Kuti pour la première fois, il m’a dit qu’il avait entendu parlé de ces soirées londoniennes ! J’ai fait la première partie de Miriam Makeba à Trafalgar Square. J’ai joué de la house sud-africaine et un gars est venu me voir en me demandant de passer de la « vraie » musique africaine, en ne sachant pas d’où je venais et surtout, que ce qu’il était en d’entendre venait d’Afrique, que c’était réellement de la musique africaine… Je pense qu’avant les gens étaient effrayées que ça soit peut-être « trop » africain et que ça attire des mauvaises personnes. Un jour, un propriétaire de club m’a dit : « j’aime les africains ils dansent beaucoup mais ils ne dépensent pas vraiment ». Cette perception semble avoir évolué; les gens voyagent beaucoup plus en Afrique et les africains sont tellement plus fiers de leurs racines, plus que dans le passé. L’essor était tel qu’on a commencé à me booker de plus en plus. Parfois, je me retrouve dans des soirées afro-house ou dédiées aux musiques africaines mais je suis le seul DJ africain…
« En matière d’inspiration et de créativité, l’Afrique a des années-lumière d’avance sur l’Occident. C’est pourquoi toute l’attention est tournée vers l’Afrique, avec des grands producteurs qui cherchent des talents là-bas. »
Quel type de personnes apprécient ta musique ?
La chose la plus incroyable avec la musique, c’est qu’il n’y a pas de frontières. Je reçois des messages de Russie, des Etats-Unis, de Corée… Des gens qui me disent combien ils aiment la musique que je produis et comment ils l’ont découverte sur Youtube ou Spotify. La musique touche de manière inattendue, peu importe qui tu es. Ma musique existe pour tous ceux qui apprécient les rythmes complexes de percussions et la danse.
Comment décrirais-tu ta musique ? Et où vas-tu puiser ton inspiration ?
Je construis des ponts entre l’afro-house et la techno. Ma musique se balade entre l’acid, la deep house, la tech house, la deep tropical et l’afro. Je suis constamment en recherche de nouvelles créations, qui introduisent d’autres sonorités. Je suis inspirée par la musique traditionnelle africaine, par la musique classique mais aussi par le disco, le jazz et tant d’autres… Je mixe de tout, même beaucoup de styles, même du hip-hop et rock’n’roll. Mais évidemment, je m’inspire essentiellement de toutes les musiques venues d’Afrique sur lesquelles je peux tomber. J’ai acheté ma première Technics 1200 [ndlr platine vinyle] et petit à petit, je me suis éloigné des autres genres pour affiner ma patte et la rendre plus pointue. Aujourd’hui, j’ai amélioré mon niveau, je tente toujours de viser plus haut, avec des idées novatrices et des morceaux inédits qui touchent les gens. J’adore ressentir cette connexion entre le public et moi, regarder les gens tomber amoureux sur la piste de danse. Qui sait, peut-être que quelque part des gens sont en train de faire l’amour sur ma musique et qu’un bébé est en route… Je crée des ambiances — mélancoliques dans un premier temps, puis entraînantes ensuite — pour pousser les gens à transcender la souffrance. La musique est mon remède.
Est-il facile pour toi de vivre en tant que DJ ? Et qu’en est-il de l’industrie musicale en Afrique ?
Je ne sais pas si je peux dire s’il est facile ou non de vivre du métier de DJ, ça dépend des caractères de chacun. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a énormément de sacrifices, de nuits blanches — ce qui peut s’avérer nocif pour ta santé et ta vie sociale. Je n’ai pas commencé ce métier pour devenir riche ou en vivre mais pour faire bouger les gens. Pour leur faire ressentir mon histoire, ma culture, pour partager ce que je ressens pour mon pays et mon continent. En tout cas, l’Afrique du Sud est riche, très riche. L’Afrique l’est en général, même si la plupart des richesses est détenue par 1% de la population et que la majorité de l’économie, des terres, des ressources est détenue par les Européens, qui parfois, n’y vivent même pas ! Mais il y a une nouvelle classe moyenne africaine qui a gagné en ampleur et en pouvoir d’achat. Ça peut carrément booster la vie d’un artiste. L’Afrique du Sud a l’industrie musicale la plus structurée en Afrique; le Nigéria, la plus dynamique. De nos jours, tu vois des artistes avec des jets privés et des voitures de luxe mais qui construisent également des écoles et des cliniques. Evidemment, à côté de ceux qui ont réussi, il y en a un tas qui galèrent financièrement. Je pense qu’il faut absolument créer un filet de sécurité pour protéger ces artistes. En matière d’inspiration et de créativité, l’Afrique a des années-lumière d’avance sur l’Occident. C’est pourquoi toute l’attention est tournée vers l’Afrique, avec des grands producteurs qui cherchent des talents là-bas. Tu t’aperçois que même les rythmes se sont transformés dans la pop. L’Afrique est en train d’éclore !
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