
PREMIERE : KA(RA)MI SORT « ASTRONAUTE »
PAR CHAYET CHIENIN
25 JUIN 2020
L’artiste Ka(ra)mi est de retour et dévoile le clip “Astronaute”, premier extrait de son premier album solo à paraître en 2021.
Elle n’est pas juste pianiste, beatmaker, productrice, directrice musicale ou même dj. En fait, elle est tout ça. Elle, c’est Ka(ra)mi, une artiste qui explore tous les champs des possibles avec son art, sans complexes ni retenue. Après tout, pourquoi s’enfermer dans une boîte, un rôle, un angle ?
Connue ces dernières années de la scène parisienne avec le groupe Kami Awori, c’est en solo que l’artiste suisse d’origine haïtienne et hongroise se lance cette fois-ci avec “Astronaute”, le premier extrait de son premier album en préparation. Un titre électro entraînant et langoureux à la fois avec un clip aux plans sublimes. Et si dans ce titre se cachait le plus bel éloge à la solitude et au collectif ? En tout cas, c’est une véritable leçon de philosophie mais surtout de musique que nous donne Ka(ra)mi, à méditer au rythme de ce son et de nos sociétés déconfinées.
« Dans ce nouveau projet, l’objectif était de faire des beats dans l’idée d’aller à la rencontre de moi-même cette fois-ci. »
Comment vas-tu et comment s’est passé ton confinement?
Au début avec beaucoup de stress et d’anxiété parce que c’était une perte de repères, des reconfigurations à faire, des dates annulées et des questionnements professionnels. Et puis petit à petit je me suis faite à l’idée. Je suis restée à Paris avec mes colocataires et je l’ai bien vécu. C’était une période très particulière pendant laquelle je n’ai quasiment rien composé ni été créative. J’ai accepté l’idée de non productivité et je me suis laissée aller avec le flow un jour après l’autre jusqu’à trouver une certaine harmonie. Ensuite, il y’a eu le déconfinement, nouvelle déstabilisation avec tout un tas de questions : est-ce qu’on ressort ? Qu’est-ce qu’on peut faire? Qu’est-ce qu’on ne fait pas ? Comment se comporter socialement ? Ensuite, il y a eu la période assez intense autour de la mort de George Floyd qui a animé toutes les actions politiques présentes en france comme Adama Traoré ou Lamine Dieng. C’était une période assez éprouvante, j’ai été très affectée par les mots et les images qui restent en tête, qui s’imprègnent dans ton inconscient. C’était très intense, j’ai éprouvé beaucoup d’émotions à ce moment là. Je me remets tout doucement à la musique.
Justement, comment la musique est entrée dans ta vie et dans quel environnement familial as-tu grandi ?
J’ai grandi à Genève dans une famille unie. Mon père est haïtien et ma mère hongroise. On écoutait beaucoup de musique à la maison, notamment du kompa. Dans la tradition hongroise, c’est quelque chose de très prégnant de faire de la musique, c’est carrément la norme. Du côté de ma mère, il y avait beaucoup de musiciens. Ma grand mère était prof de piano, mon arrière-grand père était compositeur, il avait l’oreille absolu. C’était incroyable, il partait à des récitals et en rentrant était capable de reproduire ce qu’il avait entendu le soir-même. Ma grande tante était chanteuse d’opéra. Ma mère a appliqué cette tradition de la musique en suisse pour nous, ma soeur et moi. Du coup, j’ai commencé le piano à 6 ans, j’a étudié la musique classique jusqu’à mes 18 ans et j’ai fait également des cours de piano d’improvisation. En fait, la musique a toujours été l’une des choses les plus importantes dans ma vie.
A quel moment as-tu su que tu voulais en faire ton métier?
A la fin du lycée, à 19 ans, j’ai pris une année sabbatique. J’ai travaillé 6 mois et après je suis partie 8 mois à Cuba pour apprendre l’espagnol et la musique cubaine. J’ai rencontré un prof de piano, Juan Vila, qui m’a dit qu’il ne pouvait pas m’apprendre la musique cubaine car ça se joue en groupe. Il m’a alors introduite à son collectif, c’était un groupe de 17 jeunes tous chanteurs et chanteuses entre 13 et 25 ans, ils m’ont pris sous leur aile en mode famille. On répétait 3 à 4 fois par semaine et on faisait les concerts le week end. J’ai adoré cette expérience, ça m’a vraiment appris pleins de choses. En premier, le rapport à l’instant présent. Là où j’étais, il n’y avait ni téléphone portable ni internet, du coup tu peux vraiment profiter du moment que tu passes avec les gens. Ensuite, être dans un espace où c’est le groupe qui prime, il y a une attention extrême de tous les uns envers les autres. Et puis, avant d’arriver à Cuba je pensais être “bizarre” parce qu’à l’école les gens me disaient souvent que j’étais dans la lune, en mode hors sujet et je m’étais toujours dit que c’était un défaut et j’essayais un maximum de corriger cela et de m’adapter. Mais à Cuba, c’était un truc que les gens aimaient chez moi qui était normal et vu comme une qualité. Cela a totalement opéré un gros “switch” en moi en termes de confiance en soi.
Je dirais que ce voyage a fortement imprégné mon rapport à la musique. Je pense que je tire mon goût du collectif de cette expérience que ce soit pour des projets ou pour jouer à plusieurs. C’est simple, quand je suis rentrée en suisse je ne voulais plus faire de musique classique, je ne voulais plus être juste seule devant ma partition. C’est à ce moment là qu’on a lancé le groupe Caramel Brown devenu Kami Awori par la suite.
La formation du groupe Kami Awori marque le début de ta professionnalisation dans la musique. D’ailleurs, comment as-tu rencontré Awori ?
On se rencontre à l’âge de 13 ans à l’école. J’avais entendu Awori chanter du Sean Paul au récital du secondaire et j’avais trop eu un “crush” sur sa manière de chanter et sur sa voix. A la fin de l’année scolaire, on devait faire un projet d’école et j’avais décidé de faire un album à partir de photos. Du coup, j’ai fait appel à Awori pour chanter dessus. On a vu qu’on avait vraiment une harmonie et qu’on aimait jouer ensemble, c’est comme cela que tout commence.
Je suis restée 10 ans dans le groupe et cela m’a formé à ce qu’on appelle les musiques actuelles. C’était mon entrée dans le métier de musicienne mais à l’époque je ne l’avais pas du tout conscientisé de la sorte. Je ne me disais pas qu’en commençant Kami Awori je commençais ma profession de musicienne. Je me disais juste qu’on commençait un groupe, qu’on faisait des concerts de quartier. En 2012, on sort l’EP “Esquisses” avec un label et c’est la première fois que j’ai compris ce que ça voulait dire d’enregistrer un album, de suivre le process de création jusqu’au bout avec l’objet matériel, faire des radios et télé, jouer en festival, faire des interviews et le fait aussi de jouer avec d’autres musiciens, parfois 10 à 15 musiciens sur scène avec nous. Je pense que ma professionnalisation commence réellement à ce moment là. C’est aussi là que j’ai compris qu’être artiste c’est avoir plusieurs facettes et que ce n’était pas que la partie créative.
Ensuite, cette professionnalisation s’est peaufinée avec tous les autres artistes que j’ai accompagné sur scène comme Dena en tant que “Backing band” lors d’une tournée. C’était un moment clé, j’avais 20 ans, j’étais en double licence de psychologie et espagnol mais mon esprit n’y était pas. Et puis quand tu vis en Suisse, c’est dur d’envisager la musique comme un métier surtout si tu n’es pas un musicien de Jazz ou de classique. A l’époque, j’avais tellement peu d’exemples d’artistes qui en vivaient. On te renvoie toujours l’idée qu’il faut être “secure” avec un emploi stable, et c’est un message hyper dur à déconstruire. Donc soit je m’inscrivais en master ou soit je faisais la tournée avec Dena et j’ai choisi la tournée.
J’ai aussi accompagné Teme Tan en tant que joueuse de keytar à la basse (clavier porté comme une guitare) et Dawn Richard pour qui je devais arranger tout son set musical pour du live. Là aussi c’était très formateur car c’est l’école américaine, une protégée de P. Diddy, avec un travail précis et acharné. Si j’en suis là aujourd’hui c’est vraiment grâce à toutes ces expériences.
Aujourd’hui, tu es en pleine préparation du lancement de ton 1er album. Comment gères tu ce passage du collectif au solo ?
C’est vrai que je n’aurais jamais pensé faire un truc en solo, mais finalement la boucle est bouclée, je reviens à cette étape du début devant mon piano à faire mes partitions. Je dirais que les choses se sont faites par étapes voire par transition. Le premier passage par le solo s’est fait à travers le dj-ing. Il y a ce côté où tu te prépares seule, tu fais tes propres sélections musicales, c’est un côté très solitaire mais qui va prendre de l’amplitude sociale quand tu seras devant les gens à mixer. Propager de la musique dans des espaces c’est vraiment quelque chose de très sociale. Observer ce qui s’y passe, entrer en interaction avec les gens et puis j’ai commencé à explorer plus profondément ce côté seule avec mon clavier et mes beats, ce que je faisais déjà dans Kami awori mais c’était dans le but d’aller à la rencontre de l’autre. Là dans ce nouveau projet, l’objectif était de faire des beats dans l’idée d’aller à la rencontre de moi-même cette fois-ci. Le côté collectif reste malgré tout présent parce que je fais appel des fois à des musiciens et la scène ça se travaille à plusieurs avec une équipe pour la chorégraphie, un designer, le make up etc…. Même si tu es seule sur scène il y’a toujours une équipe derrière toi. Le clip “Astronaute” en est la preuve parce qu’il ya de la danse chorégraphiée par JN Grey, le make up fait par Ginger Pine et une quinzaine d’autres personnes impliquées derrière. Le collectif reste toujours très important pour moi.
Justement, peux-tu nous en dire plus sur “Astronaute” ?
C’est le premier son club que j’ai composé. Il est fortement lié à mes débuts en dj-ing. Le début d’Astronaute je l’ai composé avec un instrument qui s’appelle le moog, c’est un clavier dit détuné, ça veut dire que tu n’es plus dans les tonalités classiques. Tu peux faire un do qui va sonner 0,002 centièmes au dessus de la note classique. C’est un instrument avec lequel tu as des milliards de possibilité aussi bien au niveau des sonorités que des notes elle-mêmes. J’ai juste joué avec le flow sans vraiment savoir dans quelle tonalité ou gamme j’étais et c’est pour çà que j’ai eu l’impression que c’était une autre réalité et que c’était un peu spatial.
“Astronaute” c’est aussi un son qui correspond à un moment d’indépendance, celui où je quitte mon ancien label, une époque où on revendiquait beaucoup notre indépendance et ce que ça veut dire en tant qu’artiste dans l’industrie musicale, surtout quand on décide de naviguer dans d’autres circuits que ceux qu’on attend de nous.
Le processus de création a duré 4 ans sur ce titre. C’est en baignant dans le milieu des soirées que j’ai continué la composition d’astronaute jusqu’à finir totalement le son quelques jours avant le tournage du clip.
Ton clip est superbe, quel est son message principal ?
Au début, je me disais “pourquoi tu cliperais un son instrumental?” mais en fait, c’est vraiment quelque chose à déconstruire; J’ai travaillé avec Aurore Le Mat pour ce clip qui raconte pleins de choses mais surtout le mouvement. Qu’est-ce que ça veut dire de partir d’un point A à un point B? Le passage de la solitude au collectif. C’est un peu mon voyage à moi et ma vision de la création entre le solitaire et le collectif.
J’ai donné carte blanche à la chorégraphe JN grey qui a réuni autour d’elle des danseurs emblématiques de la scène house, dance et ball Room parisienne tels que Rickysoul, Lasseindra Ninja, Matyouz, Julie Rilos et Djenabou Cissé. Le point commun qui relient tous ces danseurs c’est l’esprit clubbing et c’est ce qu’ils ramènent dans leurs danses. Ce sont des danseurs qui ont également des messages à délivrer et je me sens très honorée d’avoir eu leur présence qui apporte beaucoup au clip.
A quoi va ressembler ton premier album ?
Ce sera un album avec des influences house, électro et caribéennes. Je chante également dessus, ce qui est une nouvelle phase pour moi. C’est vraiment un album né et influencé par mes 4 ans de Dj-ing et de soirées permanentes, du coup il est très énergique et dansant.
Tu évoquais tout à l’heure ce que c’est d’être un artiste indépendant. A ton niveau et avec le recul, comment cela continue de s’exprimer et d’influencer tes choix ?
Je suis à un stade où je ne fais pas trop de concessions et je suis assez radicale sur mes choix de scènes. Je vais dans des scènes où on me programme pour qui je suis, d’ailleurs toute l’année 2019 a été incroyable parce que toutes les scènes que j’ai faite c’est avec un public qui était aligné avec moi, qui m’a beaucoup donné et avec lequel j’ai pu échanger. J’ai fini l’année 2019 en mixant dans des festivals en Guadeloupe, j’en nageais de bonheur. Pour moi, le lead reste la musique avant tout. C’est ce qui guide tous mes choix et j’essaie de rester à l’écoute de cela. La scène est aussi très importante pour moi, je ressens vraiment beaucoup de gratitude de pouvoir faire de la musique et je vais continuer tant que je peux.
Instagram : @Karami_beats
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